A Mazatlan, loin des grands hôtels où l’on offre des forfaits tout compris à ceux qui viennent passer une petite semaine au Mexique et loin du vieux quartier historique où les vieilles maisons bourgeoises brillamment restaurées abritent des retraités canadiens et américains, se trouve l’hôtel Lerma. C’est un établissement bon marché, de 13 $ à 20 $ canadiens la nuit. Le bâtiment, construit en 1955 pour être une école catholique, a été racheté en 1960 et transformé en hôtel. Carlos Lerma, le petit-fils du fondateur de cette petite entreprise familiale, gère maintenant l’établissement, avec d’autres membres de
sa famille. L’été, pendant les grosses chaleurs, l’hôtel se remplit de familles mexicaines venues des grandes villes de l’intérieur comme Durango, Monterrey ou Guadalajara. L’hiver, ce sont surtout des retraités américains et canadiens. Carlos aime parler de l’histoire de l’hôtel : « Quand j’étais gamin, dans les années 80, il venait beaucoup de jeunes européens et japonais qui voyageaient avec des sac à dos. Vers la fin des années 80, les Européens se sont faits de plus en plus rares et ils ont été remplacés par des Américains et des Canadiens. Depuis une quinzaine d’années, il y a de moins en moins de jeunes et de plus en plus de retraités ».
En fait, ce sont souvent les mêmes. Ils étaient « backpackers » dans leur jeunesse et continuent de fréquenter le même type d’établissements. Richard, 73 ans, vient du New Hampshire
en voiture chaque hiver et parle des voyages qu’il a faits à travers l’Amérique latine en utilisant les transports publics les moins chers. Dwight, lui, a fait un voyage en moto, du Nouveau-Brunswick jusqu’en Argentine, mais maintenant, il vient en avion à Mazatlan y passer l’hiver. Roger, un Britannique de 75 ans qui passe ses étés sur l’île de Vancouver, a parcouru le monde avec son baluchon. Sa barbe et ses longs cheveux sont devenus blancs mais c’est toujours avec un gros sac à dos qu’il débarque chaque hiver à l’hôtel Lerma.
Les chambres sont rudimentaires. Pas d’air climatisé, mais des grands ventilateurs suspendus aux hauts plafonds et l’air circule bien car il n’y a pas de vitres aux fenêtres, seulement des barreaux et des volets en bois. Le carrelage au sol semble contribuer à garder un peu de fraîcheur dans les chambres en dépit du soleil tropical. Le wifi, mais pas de télé ou de téléphone. Par contre, vous n’êtes pas accueilli par une longue liste de règlements. Les interdits ne sont pas la spécialité de la maison. A travers les portes, que presque tout le monde laisse ouvertes, on peut voir ces résidants saisonniers déballer casseroles et couverts pour se faire à manger. Au bout de quelques jours, on connaît tous les autres occupants et, à la fraîcheur du soir, on sort les chaises pour discuter avec les voisins. C’est cette convivialité qui rend l’hôtel Lerma si agréable au point que certains qui avaient quitté l’hôtel pour louer un appartement meublé, ne coûtant pas beaucoup plus cher, sont revenus à l’hôtel car il s’ennuyaient trop dans leurs appartements.
On finit par s’attacher au quartier autant qu’à l’hôtel. Dans le voisinage, il y a David qui a construit un comptoir de fortune à l’entrée de son garage et se poste là dès l’aube avec son sac d’oranges et son pressoir, et commente l’actualité locale pendant qu’il prépare votre jus. Et puis il y a Gustavo, le marchand de tamales, qui est intarissable sur les secrets de cuisine et les dernières bêtises de son petit chien Toto. Il y a aussi la voisine, une veuve qui arrondit ses fins de mois en préparant des repas copieux (à 4$ canadiens) pour les gringos de l’hôtel. Il faut dire que certains des gringos de l’hôtel Lerma sont à la limite de la pauvreté avec une pension qui les laisse à peine survivre aux États-Unis mais qui leur permet de passer une retraite agréable au Mexique. D’ailleurs, certains d’entre eux vivent en Arizona ou au Nouveau-Mexique, à quelques kilomètres de cette frontière qu’ils traversent souvent pour s’offrir ce qu’ils n’ont plus les moyens de se payer dans leur propre pays. Des soins dentaires et des médicaments, entre autres.
Alors que les baby-boomers prennent leur retraite sans avoir investi les sommes fabuleuses recommandées par les chroniqueurs des pages affaires du Globe and Mail, certains redécouvrent les hôtels de routards, en Asie ou en Amérique latine, dont ils ont de bons souvenirs. En cherchant bien, on trouve toujours un hôtel Lerma quelque part.