Professeur dans la prestigieuse université américaine de Harvard, Eugene Wang enseigne l’art chinois, une discipline indissociable de l’histoire du pays et qui oscille aujourd’hui entre censure et soif de liberté. Comment les artistes modernes chinois composent-ils avec leur héritage ? Il sera à Vancouver à la mi-mars pour en discuter.
Comme son nom l’indique, Eugene Wang est d’origine chinoise. Il est né dans la province côtière de Jiangsu, située au sud-est. Pour lui, étudier l’art chinois ne signifie pas seulement s’intéresser à un courant majeur de la culture mondiale, mais aussi en apprendre davantage sur l’histoire de son pays. Désormais professeur à l’université américaine de Harvard, cet illustre personnage donnera une conférence le 17 mars en soirée à la Galerie d’art de Vancouver.
On ne peut évoquer l’art chinois moderne sans commencer par mentionner le XXe siècle, période charnière où le pays connut une véritable mutation. « Jusqu’au début des années 1900, l’art était sous l’emprise impériale », rappelle l’enseignant. L’abdication du dernier empereur mandchou en 1912 a tout changé.
La Chine a dû se réinventer. De jeunes artistes ont alors découvert la gouache, l’huile et la toile dans les premières écoles officielles du pays. Ils se sont essayés au nu, ce qui aurait été impensable jusqu’alors, mais la pratique fait scandale. Si la révolution est en marche, elle nécessite du temps avant d’aboutir.
Avancer, sans nier son passé
Les sujets classiques ont été redéfinis. Les créateurs se sont inspirés des styles occidentaux. Pendant un temps seulement. La Révolution culturelle lancée en 1966 par Mao Zedong reste ce moment historique où les valeurs culturelles chinoises traditionnelles et d’autres provenant d’Occident furent dénoncées. « À sa façon, Mao était un artiste. Tout du moins dans sa démarche. Il s’est comporté comme tel. Et nous savons les répercussions que cela a eu », considère Eugene Wang, sans vouloir jouer les provocateurs.
C’est à la mort de cette figure emblématique que l’art contemporain chinois tel que nous le connaissons a émergé. Un art qui ne nie pas son passé et qui va de l’avant. Un art influencé par les réformes et l’ouverture du pays. « L’art chinois est indissociable des circonstances politiques », poursuit le conférencier.
« Peu d’œuvres polémiques »
On ose parler de liberté d’expression et de créativité débordante. Une ironie dans un pays encore soumis à la censure. Comment les artistes s’en accommodent-ils ? En évitant le politiquement incorrect et la remise en cause du pouvoir. « On voit très peu d’œuvres sensibles ou polémiques », indique Eugene Wang. Ce qui ne signifie pas pour autant que la création chinoise actuelle est vide et aseptisée. Au contraire, elle a le vent en poupe.
« Le marché de l’art se porte bien en Chine. Certains en profitent pour investir et gagner de l’argent. Ce n’est pas toujours une bonne chose. C’est la porte ouverte à la spéculation. » Le Made in China artistique affole les compteurs. Sur la scène internationale, des tableaux se vendent à des prix records. Parfois plus élevés que les enchères déboursées pour un Picasso.
Les Chinois aiment l’art. Ils en sont les premiers acheteurs, devant les Américains. « En 2014, 360 musées ont été créés en Chine. C’est presque un par jour ! », révélait François Curiel, le président de Christie’s Asie, à l’Agence France Presse fin février.
La mondialisation a favorisé l’apparition de nouvelles formes d’expression – le multimédia en tête – et uniformisé les valeurs. Comme partout ailleurs. Une partie de la population s’éveille, aspire à l’égalité et au respect de la dignité humaine. À leur niveau, certains créateurs cherchent à exprimer cette mentalité un brin rebelle. Sur le plan culturel, le vieux pays à l’antique civilisation est encensé pour sa renaissance et sa vitalité. Il fait bon être artiste en ce moment en Chine… à condition de ne pas faire de vagues.