Quand un paquebot arrive à Mazatlan, les chauffeurs de taxis, les guides touristiques et les chauffeurs des « autobus turisticos » se précipitent à la gare maritime, aussi excités que des mouettes qui assistent au déchargement d’un chalutier. Les croisiéristes débarquent et sont accueillis par des bénévoles qui leur expliquent que le centre historique est à quelques centaines de mètres et qu’ils peuvent s’y promener à pied sans problème. C’est ce que feront bon nombre de ces touristes. Mais les guides et les chauffeurs de taxis font tout pour les encourager à choisir une visite organisée.
Le principal argument déployé par ces marchands de services est la sécurité. Ils laissent entendre qu’il est dangereux de se promener seul dans cette ville de cinq cent mille habitants. Beaucoup de touristes sont prêts à croire au pire à propos d’un pays où ils imaginent des narco-gangsters à tous les coins de rue. Au Mexique, des gens qui vivent du tourisme ont intérêt à entretenir cette peur. Pour aller visiter un vieux village minier datant de l’époque coloniale, situé à une quarantaine de kilomètres de Mazatlan, vous pouvez faire l’aller et retour pour 5 ou 6 dollars en empruntant les bus locaux. Mais si vous êtes dans un hôtel touristique, on vous dira que ça peut être dangereux et qu’il est préférable de faire l’excursion avec un guide anglophone pour une cinquantaine de dollars.
Le guide vous emmènera dans un restaurant sûr (où il touche un pourcentage des ventes) en vous faisant comprendre que dans les autres restaurants, mille et une maladies tropicales effroyables attendent le touriste imprudent. Si vous dites que vous avez l’intention d’aller, seul, explorer une ville voisine qui n’est pas sur le circuit touristique, le marchand d’excursions organisées vous expliquera que c’est un repère de brigands d’où vous aurez bien peu de chance de revenir vivant. Pour lui, plus le touriste a peur, plus ça rapporte. Il est un peu triste de voir ces troupeaux de touristes inquiets qui suivent sagement leur berger d’un attrape-nigaud à l’autre. Non seulement ils se font gentiment plumer, mais surtout, ils évitent tout contact avec le Mexique ordinaire.
Il ne s’agit pas de nier les problèmes de criminalité qui empoisonnent la vie des Mexicains. Les luttes sanglantes entre narco-trafiquants, les enlèvements, les policiers véreux, tout cela existe, mais ne vise presque jamais les millions de touristes étrangers qui viennent chaque année au Mexique.
Certes, les statistiques ont de quoi faire peur. En ce qui concerne les meurtres par cent mille habitants, le taux canadien est autour de 1,5%. En France, il s’agit de 1,3%. Au Mexique, en 2009, il y avait 19 meurtres par cent mille habitants, ce qui est beaucoup même si c’est moins de la moitié des taux du Guatemala ou du Salvador. Mais la plupart de ces meurtres impliquent des règlements de comptes entre criminels et ont lieu loin des zones fréquentées par les touristes, à l’exception, peut-être, d’Acapulco. Le nombre de Canadiens qui sont victimes de violences criminelles au Mexique est minuscule si l’on considère que près de deux millions d’entre eux viennent dans ce pays chaque année. C’est même surprenant qu’il y en ait si peu, quand on voit que dans des sites touristiques comme Puerto Vallarta et Cancun, bon nombre de ces fêtards étrangers sont ivres du matin au soir et sont donc des proies faciles pour quiconque voudrait les attaquer. Les journaux américains citent parfois des chiffres impressionnants à propos du nombre d’Américains tués au Mexique mais ne précisent pas que ce nombre comprend de nombreux bi-nationaux dans les zones frontalières, dont certains sont probablement impliqués dans des activités criminelles.
On me demande souvent si c’est dangereux de voyager au Mexique. La question me gêne toujours un peu car personne ne peut garantir qu’il ne se passera rien. Je réponds que je me sens en sécurité mais que je fais comme font les Mexicains des classes moyennes. Il s’agit d’être conscient de ce qui nous entoure, d’éviter les bidonvilles et de ne pas trop circuler à pied tard le soir. Il s’agit aussi d’éviter les zones, urbaines ou rurales, où la guerre entre narco-trafiquants est particulièrement virulente. Pour le reste, il suffit de prendre les mesures ordinaires contre les pickpockets et autres petits criminels de rue. Bref, comme vous le ferez à Barcelone, Paris, Rome, Montréal ou Vancouver.