Voyager permet de côtoyer d’autres voyageurs d’origines et de cultures différentes. C’est devenu un cliché, mais ce n’est pas évident pour tous. Certains préfèrent ne côtoyer que des gens ayant un style de vie semblable aux leurs. L’industrie touristique l’a compris et c’est sans doute pour cela qu’il existe des croisières pour gais ou des lieux de vacances plus ou moins réservés aux jeunes. Dans le domaine de la mise en marché touristique, ce sont là des niches qui ne sont pas nécessairement vouées à beaucoup de croissance. La ségrégation religieuse est, par contre, beaucoup plus prometteuse, surtout en ce qui concerne les vacanciers musulmans.
Plus tôt cette année, la ville de Grenade, en Espagne, a accueilli un congrès du tourisme halal, un secteur qui connaît un taux de croissance de 4,8 % par an selon la compagnie britannique Crescentrading. Le tourisme halal consiste à offrir des vacances respectueuses des préceptes de l’islam. En Turquie et en
Malaisie, de nombreux hôtels se spécialisent dans ce domaine en offrant, non seulement de la nourriture appropriée mais aussi en garantissant un environnement sans alcool, des appels à la prière par haut-parleurs et des piscines séparées par sexe. Un hôtel malaisien est même fier d’offrir des ascenseurs séparés pour les femmes. Les pays du Maghreb, où les Européens viennent moins nombreux par peur du terrorisme, misent de plus en plus sur le tourisme halal en faisant appel, entre autres, aux musulmans des pays occidentaux.
Si la Turquie et la Malaisie sont en tête en ce qui concerne le tourisme halal, des pays non musulmans commencent à faire des efforts pour exploiter ce filon. Le métro de Taipei dispose maintenant d’une salle de prière à la disposition des touristes musulmans. Un hôtel australien offre une salle à manger séparée pour ceux qui préfèrent éviter de côtoyer des infidèles pendant les repas. En Suisse, un hôtel de luxe désireux de faire plaisir à ses richissimes clients du Golfe, a installé dans ses chambres des tapis à prière avec boussoles intégrées (pour connaître la direction de La Mecque). En Suisse italienne, où un arrêté local interdit le port du voile intégral, les hôteliers font des efforts de lobbying pour qu’une exception soit faite à l’égard des étrangères. Ils font valoir que si les visiteurs provenant de la péninsule arabique ne représentent que 2% des clients, ils dépensent beaucoup plus que les autres.
En France, où le principe de ségrégation religieuse est sujet à polémique, les hôteliers tentent d’accommoder les riches musulmans étrangers dans la plus grande discrétion. Mais les musulmans français sont de plus en plus nombreux à demander, eux aussi, des vacances halal. A tel point que le site de réservation britannique halalbooking a lancé une version en langue française. Des clients francophones, ravis de leurs vacances halal, ont écrit pour dire à quel point ils étaient contents d’avoir passé des vacances en famille sans craindre de voir des gens ivres, et en ayant accès à une piscine réservée aux femmes. Sur le forum de ouma.com, il est beaucoup question de ces lieux de villégiature qui sont (comme disent les Français) muslim friendly. Le site français offre des listes de restaurants halal dans différents pays (y compris le Canada) et des villas à louer avec piscines non visibles de l’extérieur.
Pour certains, le tourisme halal n’est qu’une adaptation culturelle axée sur une clientèle particulière, comme, par exemple, l’offre de nourriture asiatique aux clients en provenance d’Extrême-Orient. Pour d’autres, c’est une forme de ségrégation religieuse qui ne fait qu’accroître le gouffre qui semble se creuser entre l’Occident et le monde arabo-musulman. Des hôteliers turcs se défendent de toute discrimination en faisant valoir que leurs hôtels, même halal, sont ouverts aux non-croyants. Il est vrai que l’appel à la prière relayé par haut-parleurs cinq fois par jour risque de décourager l’infidèle moyen. Il y a aussi la question du prix. Les hôtels turcs gagnent beaucoup en vendant de l’alcool aux touristes étrangers. Dans les hôtels halal, l’absence d’alcool se paie par des tarifs plus élevés pour les chambres.