On me demande de dire oui. Je ne dis pas non. Mais, nom de non, que l’on m’explique pourquoi, et au nom de qui, je dois dire oui plutôt que non. Si jamais le non l’emporte, je risque de regretter d’avoir dit oui. J’aurais le sentiment d’avoir perdu et je n’aime pas perdre. Par contre, si le oui gagne, je ferais partie de la majorité si je vote oui et non, non. Être majoritaire, toutefois, cela m’ennuie. Je veux faire bande à part. Je tiens à être différent. Par esprit de contradiction, il va sans dire.
Décidément ce référendum, certains préfèrent l’appeler plébiscite, me gêne aux entournures. Il me provoque. Il m’oblige à penser, ce qui est contre ma nature. Il déclenche, à mon insu, certains troubles mentaux. Il crée le chaos dans mes méninges qui tentent d’absorber le choc tout en colmatant les brèches. Je filais un bon coton, ma vie était sur la bonne voie et avançait tranquillement, à une vitesse de croisière. Je ne percevais, à première vue, aucun obstacle à l’horizon. Je ne demandais rien au bon Dieu, sachant très bien qu’il n’a rien à me donner puisque je nie son existence depuis ma plus tendre enfance et qu’il m’en veut assurément pour ça. Je vivais donc en paix avec moi-même jusqu’à ce que je reçoive, à la maison, par la poste, comme tout le monde, cette horrible enveloppe, m’invitant à donner mon avis sur la possibilité de financer, par une taxe supplémentaire de 0.5 %, le système de transport en commun dans la région vancouvéroise.
Excusez-moi de revenir là-dessus et de me répéter (l’une de mes chroniques précédentes abordait déjà le sujet) mais, si ces travaux et nouveaux services sont si essentiels, que les autorités en question assument leurs responsabilités. Qu’ils ne viennent pas me demander mon opinion. On les a élus pour ça. Depuis, je passe des nuits blanches et le jour, je broie du noir. Qu’ont-ils à m’embêter avec cette histoire de référendum ? N’ont-ils rien d’autre à faire que de me déranger pour un oui ou pour un non ? On ne les paye pas assez cher ?
L’enveloppe et son contenu (un bulletin de vote à remplir) me font face depuis plusieurs semaines. J’ai jusqu’à la fin mai pour mijoter ma réponse. Pour un oui ou pour un non, j’hésite encore, je procrastine. C’est mon droit. Je l’exerce. Histoire de faire valoir mon mécontentement, je vais, sans doute, me connaissant, attendre le dernier moment pour envoyer mon bulletin de vote.
Je constate, en attendant, que les partisans du oui font de gros efforts pour essayer de nous convaincre du bien-fondé de leur position. Ils reçoivent l’appui de plusieurs organisations ainsi que de nombreuses personnalités politiques et du monde des affaires, dont l’avis, je dois vous l’avouer, m’importe peu. Ils comptent sur eux pour nous influencer. Car, et de là vient le danger, nous sommes dangereusement influençables.
Ces partisans du oui ont même été recruter Jim Pattison pour gérer cette taxe supplémentaire et superviser sa distribution. Ce même Pattison qui avait pris en main, pour un dollar symbolique, les affaires d’Expo 86. Je veux bien croire que le multimilliardaire fait ça pour nos beaux yeux, mais je n’ignore pas, non plus, que cela fait de la publicité gratuite pour ses concessions automobiles et autres commerces qu’il possède. Je serais curieux, d’ailleurs, de voir si son chiffre d’affaires va augmenter suite à ce nouvel engagement. Il ne faut pas prendre les enfoirés du bon vieux pour des castors sauvages.
Pour tout vous dire, vous l’avez sans doute constaté, j’éprouve un gros et sérieux souci avec le oui. C’est psychologique. Oui, docteur, vous me comprenez. Vous voyez, je dis oui, volontiers et sans hésitation, à ma femme. Aux politiciens, par contre, je préfère dire non. Je n’ai pas l’intention de les épouser, ni de vivre avec eux. Nous n’avons pas élevé les cochons ensemble. J’aime les faire tourner en bourriques puisqu’ils ont tendance déjà à tourner en rond et autour du pot. Leur dire oui, c’est aussi leur donner carte blanche pour qu’ils puissent mieux la salir. Alors je ne peux abonder dans leur sens.
C’est inouï, d’autre part, comme parfois le non me tente. Il me fait penser au niet des Soviets. Je favorise, toutefois, le non plutôt que le niet. Niet c’est trop net, trop tranchant, trop cinglant alors que le non est plus nonchalant. Mon petit doigt, qui ne doit rien à personne, me dit que je vais finir par voter oui, puisque je ne sais pas dire non. Mon gros pouce, qui en douce se la coule douce, me pousse par contre dans la direction du non. Entre les deux mon cœur balance et ma tête, elle, au fond, s’en balance. La lancinante question, celle à laquelle nous devons tous répondre, demeure : Faut-il dire oui au non ou non au oui?
Et dire que j’étais si bien avant que l’on me demande de participer à ce référendum.