Né au Zimbabwé d’une famille blanche dans les années 80, j’ai grandi la plupart du temps séparé de la population autochtone du pays, c’est-à-dire des Zimbabwéens noirs – mais bien moins que la génération précédente. Ayant fréquenté des écoles où l’intégration raciale était établie, j’ai vu ce fossé peu à peu comblé avant d’être mis à mal par Robert « Bob » Mugabé, notre éternel président-dictateur, en un ultime effort pour rester au pouvoir. Il est maintenant âgé de 91 ans et gouverne depuis 1980. Au fil des années, il a mis à terre l’opposition et éviscéré l’économie agraire jusqu’à ce que la principale exportation du pays devienne ses propres citoyens. Contrairement à l’Afrique du Sud, où la réconciliation entre les races a été privilégiée, les Zimbabwéens ont été nourris de force par un régime de haine.
J’ai laissé derrière moi cette vision étroite sur les différences ethniques lorsque je suis parti en 2004 étudier dans une université américaine. Les yeux grands ouverts et avide d’une vie meilleure, j’ai trouvé rafraîchissant le fait de ne pas connaître la classe sociale des gens et d’être simplement indiscernable de mes pairs.
Onze années aux États-Unis ont fait de moi un produit de l’assimilation culturelle américaine : le melting pot, un concept auquel j’adhère entièrement. Les nouveaux immigrants doivent activement s’intégrer et faire partie de leur nouvelle communauté. En théorie, la cohésion sociale devrait se trouver renforcée et permettre ainsi un débat national sans une division des votes basée sur l’origine nationale ou ethnique. Malheureusement, bien que l’idée soit admirable, j’ai vu peu d’exemples de nouveaux immigrants, (y compris moi-même) poursuivant cet idéal sérieusement. Il est souvent difficile de s’intégrer complètement et cette épreuve semble conduire les nouveaux arrivants vers leurs propres communautés locales, du moins au début.
Aujourd’hui c’est en partant de ces multiples identités que je porte un regard sur le multiculturalisme canadien. Quatre mois en pleine immersion dans la vie canadienne et j’ai tendance à positiver les choses pour plusieurs raisons.
Par nature, nous sommes curieux d’en savoir plus sur les gens autour de nous : leur histoire, d’où ils viennent, pourquoi ils sont ici, quelles sont leurs préoccupations. Aux États-Unis, il est souvent considéré comme impoli, voire très maladroit, de poser des questions sur l’origine des personnes. Je comprends pourquoi : souligner ce type de différences peut en quelque sorte nous diviser, limitant la notion de l’étranger sur la couleur de peau, les vêtements. Et cela n’est pas américain. Au Canada, j’ai découvert que ces petites curiosités élémentaires sont naturellement acceptées et rendues en retour. C’est agréable et naturel, et le simple fait que quelqu’un demande devrait être considéré à sa valeur nominale, c’est-à-dire comme un brise-glace poli chargé de curiosité.
Encourager les nouveaux immigrants à conserver leur propre culture enrichit la société, surtout pour un pays dont l’histoire est relativement récente. Défiant toute logique, cet encouragement amène souvent les gens à se rapprocher. Les nombreux festivals culturels et le dynamisme des différents quartiers, ici, trouveraient mal leur place dans le melting pot américain. Laisser les gens se réjouir de leur identité, d’être fiers d’eux-mêmes leur donne les moyens d’en apprendre sur les autres et d’agrémenter la grande mosaïque de la diversité. Qui l’eût cru ?
Alors, existe-t-il une idée partagée par tous de ce qu’est exactement être canadien ? Bien que les Canadiens soient à l’aise à l’idée d’être un groupe hétérogène, le reste du monde peut rendre cette situation plus contraignante. Sont-ils impertinents? Curieux? Fiables? Les Canadiens attendent la définition de qui ils sont… celle de l’identité canadienne.
Même ma propre famille, qui vit encore au Zimbabwé, était perplexe quand je leur ai annoncé que je déménageais au Canada. « Mais pourquoi ? » m’ont-ils demandé, « il n’y a rien là-bas. » Et ce, malgré la gentillesse reconnue des Canadiens et leur amour des voyages outre-mer.
Cette année, j’ai assisté pour la première fois aux célébrations de la Fête du Canada et j’ai remarqué que cette diversité est aussi une question populaire pour les dirigeants. Ils sont sans cesse incités à définir le caractère de ce vaste pays, souvent en une phrase.
Tout cela me conforte dans ma décision d’être venu au Canada. Il est impossible de définir la personnalité d’une personne en une seule phrase, alors comment pouvons-nous définir un pays tout entier ?
Traduction par Hakim Ferria