À 81 ans, Jean Chrétien est en pleine forme : cet été, on l’a vu « skiant sur l’eau » au Lac des Piles, en Mauricie, dans une courte vidéo qui a tourné en boucle sur les médias sociaux. Mais ici à Vancouver, vingt ans après le succès monstre de sa pièce The Little Guy From Shawinigan, c’est le comédien Jacques Lalonde qui ramène l’ancien premier ministre libéral sur les planches dans A Closer Walk With Jean Chretien. En pleine bataille électorale, le bagarreur revient avec un mandat on ne peut plus clair : « tordre le cou » à Harper. Une satire remise au goût du jour et toujours… désopilante !
« Je suis de retour ce soir au Havana avec un défi encore plus gros que le deuxième référendum » : voici les premiers mots de l’ancien chef libéral, interprété par Jacques Lalonde, dans la pièce A Closer Walk With Jean Chretien, qui sera présentée du 10 au 19 septembre dans le cadre du festival Fringe. Une façon de dire qu’au Canada, la menace conservatrice est encore plus dangereuse que la menace séparatiste…
L’affiche du spectacle, qui montre Lalonde dans ses habits de Chrétien administrant la célèbre « poignée de main de Shawinigan » (en 1996, alors qu’il était encore en fonction, Jean Chrétien avait pris à la gorge l’activiste Bill Clennett) à Stephen Harper, annonce la couleur : l’animal politique revient pour « pogner » les conservateurs.
Nouvelle mouture décapante
Si les 55 premières minutes du spectacle sont identiques au texte original, écrit en 1995, deux ans après le retrait prématuré de la politique de Chrétien, la fin laisse place à l’improvisation, prenant des allures de rallye électoral. « C’est un peu comme si Jean se tenait devant vous pour dire : Votez pour n’importe qui, Trudeau, Mulcair, Duceppe… enfin non, pas Duceppe… mais n’importe qui pour faire sortir Harper », confie Lalonde, malicieux, avant d’ajouter que « c’est le retour du sauveur façon Terminator ».
Connu et apprécié pour son franc-parler, l’ancien chef libéral y donne notamment dix raisons et dix façons de « se débarasser » de Harper. Discours de la méthode, sans demi-mesures : « Prenez un grand bateau de type arche de Noé, appelez tous vos amis conservateurs, dites-leur qu’il va y avoir beaucoup de pluie, faites-les monter à bord et retenez-les dans l’arche jusqu’au jour des élections. » Autre piste proposée : « Versez du sérum de vérité dans le café au lait de Harper avant sa prochaine conférence de presse… ça devrait aider ! »
On n’en fait plus comme lui
Le comédien Jacques Lalonde, qui signe ici sa 29e collaboration d’affilée avec le Fringe, espère « faire une petite différence » avec cette nouvelle mouture de son spectacle, présenté pour la première fois il y a vingt ans, et inciter les gens à aller voter : « J’aime pogner des histoires vraies et les tourner comiques. Surfer sur cette drôle de ligne pour éduquer le monde. Mon mandat avec le théâtre est de réunir ou de rassembler, un éclat de rire à la fois ». Homme-orchestre, Lalonde joue aussi la comédie musicale, rythmant son one-man show de plusieurs chansons, dont un véritable hymne de campagne, It’s Time to Get Rid of Stephen Harper.
Mais outre sa tonalité très politique, le spectacle met en relief la personnalité et le parcours du « p’tit gars de Shawinigan », qui a été l’un des premiers ministres les plus populaires de l’histoire du Canada, réalisant l’exploit d’offrir trois majorités consécutives à son parti.
« Même s’il n’est pas parfait, c’est “notre” Jean Chrétien. Un homme franchement assez laid mais authentique, un politicien atypique et un guerrier », lance Lalonde. Pourtant pas si va-t-en guerre. À ses yeux, le grand moment de l’ère Chrétien, c’est en effet le “non” retentissant à George W. Bush sur la guerre en Irak, en 2003. À ce moment-là, il est devenu « Chrétien le sage ». Son pire moment ? « Dans les derniers mois de son mandat, il était devenu plus contrôlé, plus homme-téflon… probablement sous l’influence de ses conseillers. »
Mais au fait, le principal intéressé a-t-il vu la pièce? « Non. Je l’ai invité, mais il n’est pas venu. Je devrais réessayer. S’il venait la voir, il l’aimerait sans doute, car je parle de lui de façon très chaleureuse. À peu près la moitié du texte vient d’ailleurs directement de la bouche de Jean Chrétien ou de sa plume, via ses mémoires… C’est un excellent conteur !
Je ne pourrais pas faire mieux. »