À SFU, dans un cours d’introduction à la science politique, je consacre une classe aux idéologies politiques. La droite et la gauche tout d’abord, ensuite les grandes familles idéologiques, allant du communisme au libertarisme, en passant par le libéralisme et le socialisme.
Le clivage gauche-droite ne date pas d’hier. Cette grille de lecture du champ politique remonte à la Révolution française. Convoquées à Paris en vue d’élaborer une nouvelle constitution pour le pays, les forces politiques s’organiseront en deux grands camps idéologiques : les « progressistes » qui contestaient les pouvoirs et la légitimité du monarque, les « conservateurs » plutôt favorables à l’ordre établi. La petite histoire veut que, dans la salle où se tenaient les délibérations, les forces progressistes étaient installées à la gauche du président de l’assemblée, tandis que les forces qui appuyaient le régime étaient assises à la droite.
En termes actuels, la gauche renvoie à ceux et celles qui pensent que l’État doit intervenir dans la société afin de réparer les injustices et les inégalités. L’État a le devoir de favoriser l’équité entre les citoyens et les citoyennes. La droite, pour sa part, plus respectueuse du poids des traditions, pense que l’ordre du monde est légitime parce qu’il est le fruit d’un travail de longue haleine, entrepris par les générations antérieures. Dans une perspective économique, l’État doit respecter la liberté de choix et ainsi éviter de prendre des décisions qui réduisent les options des citoyens et des citoyennes.
Cela étant, dans la réalité, sur le terrain, quelle utilité pour ce clivage gauche-droite ? Dans le cadre de la présente campagne électorale, par exemple, peut-on toujours parler d’une gauche « progressiste »
et d’une droite « conservatrice » ? Les partis politiques, pour parler crûment, ne sont-ils pas tous opportunistes, motivés par les intentions de vote et non pas leurs fondements plus idéologiques ?
J’ose croire le contraire. Le clivage gauche-droite permet toujours d’expliquer la majeure partie des positions défendues par les partis politiques canadiens. Prenons la promesse néo-démocrate de créer un million de places en garderie au coût maximal de 15$ par jour. Pour parler dans les termes du clivage, le NPD propose de mobiliser l’État et ses ressources au nom du principe d’équité mais aussi dans le respect de l’égalité homme-femme. D’une part, la mesure poussera en avant l’équité car nombreux seront les ménages qui n’auront plus à dépenser des sommes importantes pour la garde des enfants. D’autre part, les services de garde abordables, l’exemple québécois en appui, permettront aux femmes d’intégrer le marché du travail ainsi que d’y occuper des hautes fonctions.
De l’autre côté, les conservateurs multiplient les annonces de crédits d’impôt. Un premier pour les aînés célibataires ou veufs, un deuxième pour la rénovation domiciliaire, un troisième pour l’adhésion aux clubs sociaux, un quatrième… Dans la perspective du clivage, ces mesures sont décidément de facture conservatrice. La droite est fidèle aux crédits d’impôt parce que ces derniers respectent la liberté du choix. Par exemple, les frais déboursés pour adhérer à un club socioculturel ou de bienfaisance seront partiellement remboursés qu’importe le club choisi.
Enfin, le clivage gauche-droite permet également de jeter lumière sur les positions des partis en rapport au port du niqab lors du serment de citoyenneté. Tout d’abord, les libéraux et les néodémocrates proposent d’autoriser le port du niqab. Pourquoi ? Pour Thomas Mulcair, c’est principalement une question de liberté de religion, alors que Justin Trudeau s’appuie sur les droits individuels garantis par la Charte canadienne. Ces deux chefs, donc, pensent que l’État doit protéger et promouvoir l’équité dans la société, dans ce cas-là en respectant les pratiques religieuses. Le parti conservateur, pour sa part, s’oppose au port du niqab. En mon sens, cette décision s’explique par le poids des traditions, par le désir de respecter l’ordre établi qui a fait ses preuves, pour ainsi dire.
En somme, la gauche et la droite sont toujours importantes en politique canadienne.
Rémi Léger est professeur de sciences politiques à SFU.