La politique peut unir et désunir. Et, le 19 octobre 2015, la volonté populaire s’est débarrassée de ce qui lui apparaissait comme une politique de désaccord et négative. Elle a choisi de tenter sa chance pour un discours plus unificateur et positif. Certains commentateurs vont même jusqu’à qualifier l’élection de M. Trudeau à la tête d’un gouvernement majoritaire libéral « d’évènement » historique. Est-ce vraiment le cas ?
D’abord finissons-en avec M. Harper. Une majorité de Canadiens n’ont pas voté pour les politiques ou les promesses d’un parti en particulier mais contre un premier ministre, son discours de plus en plus rétrograde et une attitude méprisante envers les Canadiens et leurs institutions. M. Harper a été la victime non seulement de sa propre idéologie mais de l’idéologie elle-même. Il s’est emprisonné dans une posture idéologique qui souvent dans l’histoire a tourné en illusion. M. Harper ne représentait plus les valeurs d’une grande majorité de Canadiens.
En revanche, ils ont voté en grand nombre (40%) pour le parti libéral et leur chef Justin Trudeau. Il faut dire qu’une belle jeunesse peut séduire mais ce n’est pas assez. Commençons donc par les bagatelles historiques. Justin Trudeau est jeune (43 ans) et il est le fils d’un premier ministre célèbre et important dans l’histoire canadienne, une première dans les annales politiques canadiennes. Ça aide. Mais ce n’est pas assez. Enfin, d’avoir obtenu 184 sièges, 148 de plus qu’au dernier parlement élu c’est aussi une grande réussite. Mais ces faits n’expliquent pas à eux seuls l’élection de ce gouvernement majoritaire libéral.
L’idée propagée par les conservateurs que Justin Trudeau « n’était pas prêt » avait certainement fait son chemin bien avant le début de la campagne. Mais la campagne électorale de 78 jours a permis à M. Trudeau de montrer ses capacités d’homme politique. Entouré d’une équipe intelligente, expérimentée, jeune, bien organisée et présente partout au Canada avec ses 80 000 volontaires, il a séduit les Canadiens avec un discours positif et rassembleur qui a donné de la chair à son programme de changement. Ce que M. Mulcair et le Nouveau Parti Démocratique n’ont pas été capables de faire.
La victoire libérale, un évènement historique, peut-être, mais en surface seulement. Un véritable « Évènement » est un point tournant lorsque ce qui change ce sont les paramètres par lesquels nous mesurons les faits. Par exemple on peut dire que le règne politique de Pierre-Elliott Trudeau a été marqué par des « Évènements » politiques authentiques.
Que ce soit la politique du multiculturalisme et des langues officielles, la Charte des droits et libertés, les réformes dans la justice et la politique étrangère canadienne (avec Cuba, la Chine et l’Afrique), ces changements ont vraiment marqué un point tournant dans l’histoire canadienne jusqu’à l’arrivée des conservateurs de M. Harper.
A mon avis, une victoire conservatrice dans cette élection aurait marqué un tournant fondamental vers la droite dans l’histoire canadienne. Et les Canadiens ont bien saisi l’importance de l’enjeu. En fait, le but ultime de M. Harper était, à bien des égards, de changer ce Canada de l’époque Trudeau à l’image de sa propre vision du Canada.
Les promesses de Justin Trudeau soulèvent maintenant de grandes attentes, aussi réussira-t-il à faire mentir le fameux dicton « Plus ça change, plus c’est pareil »? Et c’est là que nous verrons si l’arrivée de Justin va être un véritable « Évènement » historique. Réussira-t-il à sauter la barrière invisible de la crainte, celle de déplaire pour des raisons de pouvoir bassement politiques ou mettra-t-il en oeuvre les promesses faites durant la campagne ? Les quatre premiers mois seront critiques. Les gens ont besoin de voir qu’il est capable d’agir fermement sur les dossiers de l’environnement, les allocations familiales pour ceux qui en ont vraiment besoin, le problème des réfugiés syriens et enfin la mise en oeuvre de son plan sur les infrastructures et bien d’autres. Le Canada n’a pas besoin d’un opportunisme facile ni de réformes décoratives mais plutôt de politiques et d’idées nouvelles qui, dans leur application, répondront à des besoins profonds et surtout nécessaires. Un véritable changement de direction est primordial si notre nouveau premier ministre veut qu’on prenne au sérieux son message de changement.
Justin Trudeau a su bien prendre le pouls de la population canadienne pendant la campagne électorale. Espérons qu’il continuera tout en amenant les changements nécessaires à un plus grand bien-être pour les Canadiens. On n’intervient pas dans les affaires sociales et économiques d’un pays sans casser des oeufs mais on s’attend quand même à une bonne omelette. Le temps dira si nous avons assisté à un évènement politique historique. Et une chose est certaine, ce ne sera pas facile. Mais au moins il semble avoir l’énergie de sa jeunesse.
Pierre Grenier
Enseignant pendant 20 ans en Sciences humaines à l’école Vancouver Technical Secondary. Diplôme en Sciences politiques de l’Université Laval à Québec.
A Vancouver depuis 1980.