Rare sont les Parisiens qui savent où se trouve le Musée de l’immigration. L’édifice qui l’abrite, le palais de la Porte Dorée, est pourtant beau et impressionnant, si l’on aime l’architecture art-déco. Mais depuis sa construction, dans le cadre de l’exposition coloniale de 1931, il a toujours suscité une certaine gêne sinon la controverse. Cela a d’abord été, de 1931 à 1935, le
Musée des colonies.
Aucun phénomène historique n’a transformé le monde autant que les conquêtes coloniales européennes, ce qui mérite bien un musée. Certes, le colonialisme est aussi un long catalogue de violence, d’injustice et de racisme, mais les musées n’ont pas pour mission de ne préserver que ce qui est beau et gentil. Après tout, il y a bien des musées pour préserver la mémoire des tueries de la première guerre mondiale ou de la Shoah. Mais le colonialisme est un chapitre de l’histoire que beaucoup d’Européens préféreraient oublier. D’ailleurs, dès son ouverture en 1931, le Musée des colonies a suscité la controverse. Le colonialisme faisait déjà l’objet de nombreuses critiques en Europe alors que les journaux parlaient, à l’époque, des mouvements de grève violemment réprimés en Indochine, du chemin de fer construit au Congo grâce au travail forcé, des luttes armées dans le nord du Maroc et de l’opposition des Syriens à l’occupation française. D’ailleurs, en 1935, on a rebaptisé l’endroit, Musée de la France d’outre-mer et changé le récit pour créer la vision d’une sorte de joyeux Commonwealth fraternel. En 1959, en pleine guerre d’Algérie, on a préféré « fermer boutique ». De 1961 à 2003, l’édifice abrite le Musée des arts d’Afrique et d’Océanie. Après cela, il reste vide pendant 4 ans. Les historiens qui osent dire qu’un phénomène aussi immense que le colonialisme mérite bien un musée ne sont pas entendus.
D’ailleurs, que pourrait-on mettre dans un tel musée ? Pour une certaine gauche tiers-mondiste ça ne pourrait être qu’un catalogue d’horreur propre a susciter la honte alors que pour une certaine droite nationaliste ça ne devrait être qu’une fresque héroïque à la gloire du rayonnement de la France. Entre ces deux extrêmes se trouve un large public qui préfère sans doute ne pas trop y penser. C’est cependant difficile d’oublier le passé colonial alors que les rues des villes de France sont pleines de descendants d’immigrants venus des anciennes colonies. Le gouvernement a alors eu l’idée d’utiliser ce bâtiment pour y abriter la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Ouvert en 2007, aucun représentant de l’État ne se déplace pour inaugurer officiellement le musée. L’institution sombre un peu dans l’oubli jusqu’en 2010, quand un groupe de manifestants l’envahit et occupe les lieux pour demander la régularisation des immigrants sans papiers. Les manifestants seront expulsés l’année suivante et l’édifice restera fermé jusqu’en 2012. Rouvert, ensuite, sous le nom de Musée de l’histoire de l’immigration, il a été finalement inauguré officiellement par François Hollande le 15 décembre 2014.
Le musée est visité principalement par des groupes scolaires. Le jour où je m’y suis rendu, les écoles étaient fermées et je n’ai croisé qu’une dizaine d’autres visiteurs. L’édifice lui-même, par ses décorations, peintures et sculptures, évoque l’exposition coloniale de 1931, mais à l’intérieur, des films, des photos, des journaux et des objets relatent l’histoire des vagues successives d’immigrants qui ont transformé la France. Il est question des Polonais, puis des Italiens et des réfugiés espagnols avant l’arrivée massive des Maghrébins et autres travailleurs en provenance des anciennes colonies. Le musée fait état, honnêtement il me semble, des difficultés que rencontraient, et rencontrent encore, ces migrants. Mais une recherche sur internet démontre que ce musée mal aimé suscite encore la controverse. Pour une certaine droite xénophobe cela représente des louanges intolérables du multiculturalisme et pour certains gauchistes il faudrait quasiment dynamiter les symboles coloniaux du bâtiment. Bref, si vous cherchez un musée tranquille où vous n’aurez jamais à faire la queue avant d’entrer, je vous recommande le Musée de l’immigration à la Porte Dorée, près du bois de Vincennes.