Parmi les bonnes résolutions que tout un chacun prend en commençant l’année, il y en a certaines qui paraissent moins évidentes, mais qui sont tout aussi importantes. Pour une année 2016 placée sous le signe de la culture, La Source vous invite à vous intéresser de plus près à l’art du peuple Ndébélé d’Afrique du Sud. Trois artistes basés à Vancouver – Claudine Pommier, Michèle Smolkin et Richard Tetrault – ont d’ailleurs sorti un ouvrage à ce propos, offrant au lecteur une incursion passionnante dans cet univers souvent méconnu.
La naissance d’un art
Les Ndébélés sont un peuple de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe, issus du groupe des Ngunis. Leur nom signifie « ceux qui disparaissent sous leurs longs boucliers » et résume bien leur important historique guerrier. Ce peuple s’est d’abord établi dans les années 1600 dans une province à l’est de l’Afrique du Sud appelée KwaZulu-Natal (communément surnommée KZN). Des guerres au 19e siècle déciment la région du KZN et forcent les Ndébélés à combattre, à fuir, et parfois à signer des accords de paix avec différentes tribus. Alors que le calme semble enfin retrouvé, la politique d’apartheid de l’Afrique du Sud au 20e siècle affecte à nouveau les Ndébélés, les obligeant à vivre dans des « ghettos » appelés Bantoustan, c’est-à-dire des endroits réservés uniquement aux populations noires. D’ailleurs, le terme bantoustan est passé dans le langage commun pour désigner des territoires ou régions où les habitants sont victimes de discrimination dans leur propre pays.
Dans ce contexte de difficultés politiques, l’art des Ndébélés est né sous l’impulsion des femmes, comme un ultime rempart contre l’oppression.
Toute une géométrie !
D’abord cantonné à la décoration de l’intérieur de la maison, l’art des femmes Ndébélé s’est progressivement affiché sur les murs extérieurs de leurs habitations. Les formes se démarquent par leur géométrie et leurs couleurs vives. Chaque peinture est unique et découle d’une imagination libre et prospère, presque abstraite.
En temps de guerre, cet art était une revendication d’identité. Longtemps bafoué, le peuple Ndébélé pouvait, grâce à ces signaux sur les murs, affirmer haut et fort leur appartenance ethnique et faire savoir aux passants que des Ndébélés habitaient à cet endroit. Au-delà de la beauté esthétique de ces peintures, il s’agissait donc de faire passer un message que seuls les membres de la communauté pouvaient comprendre.
L’ouvrage NDEBELE coécrit et illustré par la photographe Claudine Pommier, la poète Michèle Smolkin et l’artiste Richard Tetrault nous explique que les oppresseurs blancs ont toujours perçu cette peinture comme une forme culturelle « décorative et totalement inoffensive », en conséquence « ils ne s’opposèrent donc pas à sa pratique ».
Si les femmes Ndébélés possèdent un savoir-faire leur permettant de créer des bijoux, des vêtements et autres objets marquants, c’est pour cet art engagé de la peinture des murs extérieurs qu’elles sont reconnues internationalement. Comme nous l’explique l’ouvrage NDEBELE : « Au départ, les femmes peignaient avec leurs doigts, sur des murs faits de boue et de bouse de vache, utilisant des pigments naturels. Les tons étaient des ocres et bruns monochromes, ainsi que du noir et du blanc de chaux. Aujourd’hui, […] ces murs sont toujours peints avec des lignes de suie noire et du blanc de chaux, mais des rouges, bleus, verts, jaunes, dorés et roses se sont ajoutés à la palette traditionnelle. »
Une forme d’art reconnue, mais mourante
La Source est allée à la rencontre de Claudine Pommier, photographe basée à Vancouver et coauteure de l’ouvrage NDEBELE. Elle nous apprend avoir voyagé dans différents pays d’Afrique pour travailler sur un film documentaire à propos des femmes artistes du continent. « J’ai été fascinée par cette forme d’art, la peinture des maisons, que j’ai pu observer dans deux pays où je me suis rendue, et qui est pratiquée exclusivement par des femmes. »
Selon Claudine Pommier, avoir travaillé avec une auteure et un artiste sur ce projet livresque rend le résultat beaucoup plus accompli et intéressant. Cet ouvrage est également bilingue, tous les textes étant proposés en français et en anglais.
Cependant, Claudine Pommier déplore que cet art soit « mourant », selon ses mots. La photographe est persuadée que cette façon unique de peindre devrait perdurer et être mieux connue du grand public, le livre NDEBELE étant « un modeste moyen de préserver » cet art. « Je suis retournée plus tard à Mpumalanga avec l’espoir de créer un film sur cet art féminin », nous confie Claudine Pommier, « mais il s’est avéré quasiment impossible d’amener les femmes plus âgées à parler de leur art, et les femmes plus jeunes n’étaient pas du tout intéressées. » Qui restera-t-il pour faire vivre cet art, sinon les nouvelles générations de femmes Ndébélés ?
Certains acteurs de la scène artistique internationale travaillent à leur échelle pour promouvoir cet art unique. En 2010, le musée d’Art et de Design de la ville de New York a exposé la BMW repeinte par l’artiste Esther Mahlangu aux couleurs et aux formes géométriques des Ndébélés, ce qui a porté un coup de projecteur non négligeable sur la culture africaine.
NDEBELE, par Claudine Pommier, Michèle Smolkin et Richard Tetrault
Disponible sur www.viovio.com/shop/138539
Pour aller plus loin dans la réflexion : Ndebele par Margaret Courtney-Clarke, la spécialiste-référence concernant la culture Ndébélé