A l’époque où Acapulco et Puerto Vallarta n’étaient que des petits villages de pêcheurs, quelques riches touristes étrangers venaient déjà sur la côte ouest du Mexique, en grande partie à cause de l’hôtel Belmar à Mazatlan.
L’établissement, sur le front de mer, dans la vieille ville, a été construit en 1896. C’était, en fait, le seul hôtel sur le bord de mer de Mazatlan. Sa clientèle était la bourgeoisie locale et quelques étrangers dont le bateau faisait escale dans ce qui était alors une humble petite ville mal desservie par la route ou le chemin de fer. En 1922, le propriétaire, Louis Bradbury (un Américain qui a fait fortune dans les mines du nord-ouest du Mexique) a agrandi et modernisé l’hôtel au goût de l’époque. Quand la prohibition a fermé les bars aux États-Unis, les Californiens qui voulaient échapper à ce régime «talibanesque» descendaient au Mexique. Pour l’hôtel Belmar, ce fut le début d’un âge d’or qui dura une trentaine d’années.
Les vedettes d’Hollywood venaient à Mazatlan sur leurs yachts et amenaient leurs amis. Errol Flynn s’y rendait souvent à bord de son voilier, le Sirocco. Entre 1922 et le milieu des années cinquante le « tout Hollywood » est passé par l’hôtel Belmar: Robert Mitchum, Rita Hayworth, Rock Hudson, Mae West, Lucille Ball, Jimmy Stewart, Tyrone Power, Yul Brynner, Gregory Peck (qui aimait jouer aux cartes avec les locaux), John Barrymore et bien sûr, John Wayne. Ce dernier venait souvent et occupait toujours la chambre numéro 48. Mais il n’y avait pas que des acteurs. Le Belmar a aussi accueilli des gens d’affaires, Walt Disney, entre autres, et des gens de lettres, comme Ernest Hemingway et Anaïs Nin qui résidait alors aux États-Unis mais descendait souvent au Mexique. Les politiciens mexicains venaient aussi dans cet établissement à la mode. Ça ne leur a pas toujours porté chance. En 1944, en plein carnaval, un homme déguisé en gitan s’est introduit dans la salle de bal de l’hôtel et a abattu de trois balles de revolver Rodolfo Loaiza, le gouverneur de l’État de
Sinaloa. L’assassin s’est perdu dans la foule des fêtards et n’a jamais été arrêté. Pendant une trentaine d’années, l’hôtel Belmar a été l’industrie touristique de Mazatlan. Fuyant la puritaine Amérique, les Californiens y venaient pour faire la fête dans cet hôtel où toutes les excentricités étaient tolérées. Le fait que la direction ait décidé de laisser un boa vivre librement dans l’hôtel pour éliminer les rats tend à démontrer que l’excentricité était plutôt le style de la maison.
Le déclin de l’hôtel Belmar a commencé au milieu des années cinquante. Acapulco était devenue la destination à la mode. Quand le tourisme de masse est venu à Mazatlan, dans les années quatre-vingt, c’était pour envahir une nouvelle zone hôtelière située à sept kilomètres de la vieille ville. Le Belmar a eu du mal à survivre. Les anciens jardins ont été vendus et transformés en bâtiments commerciaux. Des étages ont étés fermés, et le bar, autrefois le lieu de rencontre des vedettes hollywoodiennes, était devenu le rendez-vous de ceux qui recherchent avant tout de la bière bon marché. Ces dernières années, les guides touristiques pour jeunes routards citaient le Belmar parmi les hôtels délabrés mais bon marché. À Mazatlan, les gens prédisaient que le Belmar allait être détruit ou racheté par une chaîne hôtelière qui allait le transformer en un truc moderne et sans âme.
Eh bien non ! Les propriétaires ont entrepris de restaurer petit à petit l’ancien palace tout en soulignant ses caractéristiques historiques. Avec le nombre croissant de boomers canadiens et américains qui viennent passer l’hiver à Mazatlan, le Belmar semble avoir trouvé sa niche et assuré sa survie.