À Vancouver, que ce soit lors d’une fête, en magasinant ou en tuant le temps durant les jours pluvieux dans un café, on me demande souvent: « D’où êtes-vous ? » La question prend peut-être ses origines dans les statistiques: Tant de gens traversent les Rocheuses pour s’installer ici, et pour ensuite affirmer qu’ils viennent bien d’ici. Ma réponse laisse souvent perplexe ceux qui posent ces questions. « Vous avez les cheveux tellement bouclés – vous devez être Irlandaise, pas vrai ? », insiste un « devineur » de nationalités. « Vous êtes tellement artiste – avez-vous vécu à Montréal ? », suggère un autre joueur. « N’avez-vous pas une soeur à Terre-Neuve ? Vous ressemblez exactement à une de mes amies ». Si je n’avais pas vécu toute ma vie dans le Grand- Vancouver, je pourrais me croire un composé de la plus grande partie de l’hémisphère nord.
D’une certaine manière ils ont tous raison. Je ne serais pas la personne que je suis aujourd’hui si je n’avais pas grandi à Vancouver. Permettez moi d’élaborer.
Du côté maternel nous sommes Européens. Les premiers venus étaient du pays de Galles. Désirant se défaire du classicisme britannique, ils se sont installés aux alentours de Prince George en 1880 pour y cultiver des pommes dans un verger qui existe toujours, au bord d’un ruisseau. Ensuite ce fut le tour des Italiens: mon grand-oncle Primo et mon arrière-grand-père étaient mineurs. Ils creusaient des trous à flanc de montagne pour la nouvelle société du Chemin de fer Canadien-Pacifique. Mon arrière-grand-père a rencontré mon arrière-grand-mère dans un village si reculé qu’on pourrait dire aujourd’hui qu’il posséderait un seul code postal. Mon arrière-grand-mère, petite et tranquille, venait de la lointaine Pologne et ne parlait pas un mot d’anglais ou d’italien. Au moment même où mon arrière-grand-père et mon arrière-grand-mère se rencontraient, le côté irlandais de la famille traversait l’Atlantique en route vers Terre-Neuve. Malheureusement, ma trisaïeule n’a jamais vu le Canada, étant décédée sur le navire. Ses sept enfants, devenus orphelins, ont été recueillis par l’État. Mon arrière-grand-mère fut placée comme domestique jusqu’à son mariage, comme dans le conte d’Anne of Green Gables, sans vue de sa fenêtre sur quelques collines onduleuses dans son cas, mais plutôt sur la raffinerie de sucre de la rue Powell dans l’est de Vancouver.
La parenté du grand nord de la Colombie-Britannique finalement installée à Vancouver, c’était au tour des derniers membres de la famille paternelle à immigrer depuis l’Europe, à l’aube de la deuxième guerre mondiale. Mon arrière-grand-père était rédacteur pour un journal local et dans un éditorial il avait critiqué la montée du nazisme dans son pays d’origine. Personne ne parle des ennuis qu’il a pu s’attirer, mais la dernière photo de famille le montre sur le point de prendre le bateau, en plein hiver, avec mon arrière-grand-mère enceinte de sept mois de mon grand-père. Je ne peux imaginer leur choc d’avoir quitté une ville européenne animée et moderne pour se retrouver dans un coin perdu de la Saskatchewan. Je suis certaine que l’isolation et les épreuves n’étaient rien comparé au destin qui leur aurait été réservé en tant que prisonniers politiques dans un des camps de concentration d’Hitler.
Environ 30 ans plus tard, les deux familles sont maintenant installées à Vancouver…sur la même rue, à quatre portes l’une de l’autre. Maman et papa se sont rencontrés en deuxième année du secondaire et je suis née une dizaine d’années plus tard.
Donc tous ceux qui imaginaient que j’étais soit Irlandaise, du pays de Galles, Anglaise, Italienne, Allemande ou Polonaise, avaient raison. Si la ruée vers l’or n’avait pas eu lieu, si la guerre avait été évitée en Europe, les deux côtés de ma famille n’auraient jamais touché le sol nord-américain et ne se seraient jamais rencontrés. J’existerais peut-être bien sous une forme quelconque, mais je ne serais pas ce mélange unique que je suis aujourd’hui, cette recette bien vancouvéroise. Mes racines viennent peut-être d’ailleurs, mais je suis bel et bien Vancouvéroise.
Traduction Barry Brisebois