En février 2015, à 55 ans, j’ai déménagé à Vancouver. Oui, je fuyais l’hiver mais j’avais aussi soif de mieux comprendre mon pays. Je me suis toujours demandé pourquoi le Canada ne se sentait pas uni comme les États-Unis… Ou bien était-ce moi qui me sentait morcelée ?
La question identitaire m’a toujours interpellée. Née en Suisse, d’une mère italienne et d’un père iranien, je suis arrivée à Montréal en 1964 (j’avais 4 ans). À cette époque-là, le Nutella ne se trouvait que dans une seule pâtisserie européenne du quartier Côte-des-Neiges et le fromage d’Oka était un fromage de luxe ! À l’école primaire, j’étais la seule étrangère avec un nom « barbare ». Aujourd’hui, c’est plutôt le contraire !
J’ai donc vécu plus de 45 ans dans cette ville que j’ai vue devenir la métropole multiculturelle harmonieuse que l’on connaît aujourd’hui. L’expo 67, les vagues successives d’immigration et l’accueil chaleureux légendaire des Québécois y auront beaucoup contribué.
Par ailleurs, vivre un demi-siècle dans une province qui veut et ne veut pas se séparer du Canada, qui cherche elle aussi sa place et son identité, ça laisse des traces et des questionnements… J’ai donc fait un détour de 5 ans en Acadie, pays sans frontières mais dont l’identité est une des plus fortes que je connaisse.
Ce qui frappe en arrivant à Vancouver, c’est d’abord la beauté des lieux mais aussi les contrastes énormes entre richesse et pauvreté. Le nombre effarant d’itinérants m’a donné tout un choc !
Et ça fait vraiment bizarre de voir des quartiers entiers n’ayant que des enseignes écrites en chinois. Je dois dire que ça me dérange, comme si c’était un refus du pays hôte…
J’ai été très étonnée par la chaleur humaine des habitants de Vancouver ainsi que par le nombre d’élèves en immersion française. C’est bien la première fois que je sens que le bilinguisme (anglais-français) est accepté ! Plusieurs parents anglophones m’ont dit que le Canada était un pays bilingue et que c’était donc important que leurs enfants apprennent le français. Génial ! Ceci est totalement ignoré de l’est du pays !
Pendant 50 ans, tellement de concepts m’ont été martelés dans la tête, que les Canadiens anglophones ne nous aimaient pas, etc. Un jeune Vancouvérois m’a exprimé qu’on leur disait la même chose mais à l’inverse, que les francophones ne les aimaient pas. Mais pourquoi répète-t-on encore inlassablement ces faussetés de part et d’autre ?
Un jour, à la boulangerie, en jasant philosophie, j’ai reçu un câlin du jeune employé touché par mes paroles ! J’étais abasourdie ! En 50 ans de vie dans l’est du pays, jamais cela ne m’était arrivé ! Quelques jours plus tard, j’en ai reçu encore un d’une employée d’un autre commerce.
Décidément, adieu mes préjugés sur la froideur anglophone !
Dernièrement, mon père m’a dit qu’il sentait que je m’intégrais bien en Colombie-Britannique et que j’étais passée de la multiculturalité à l’interculturalité. J’en ai été profondément émue car dans le mot « inter », il y a ouverture à l’autre, communication, partage…des valeurs qui sont les fondements même de ma vie et de mes passions.
Je sens que le Canada prend un virage important avec l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau. Il semble y avoir une réelle volonté de refléter la mosaïque culturelle du pays tout en redonnant, enfin, leur juste place aux Premières Nations. Et le Québec, restera, restera pas ? Allez savoir !
Quant à Vancouver, elle veut devenir la ville la plus verte au monde…c’est merveilleux. J’espère juste qu’elle n’oubliera pas de prendre soin des trop nombreuses fleurs humaines à la dérive qui parsèment ses rues…
De mon côté, je continue ma quête identitaire en bâtissant des ponts…un échange, une rencontre, une ouverture et…un câlin à la fois.
Que tu es spéciale Cheyda!