On connaissait la généalogie, cette pratique qui consiste à reconstituer ses racines à travers les ramifications de sa famille. La psychogénéalogie s’approprie le même concept d’arbre pour inviter à une autre lecture : celle des corrélations possibles entre nos maux et ceux de nos ancêtres.
En Colombie-Britannique, l’engouement du public pour la généalogie va croissant. Des structures bénévoles accompagnent les individus dans la recherche de leurs racines, comme la British Columbian Genealogical Society, qui compte aujourd’hui plus de 600 membres. « Nous offrons une aide pratique et logistique sur notre site, en personne au cours de réunions et événements ainsi qu’à notre bibliothèque, à Surrey », explique Diane Rogers, coordinatrice du groupe ADN / Généalogie génétique.
Lorsqu’on l’interroge sur la psychogénéalogie, elle avoue que le concept est encore nouveau en Colombie-Britannique, tout en soulignant avoir eu des discussions intéressantes à ce sujet lors de son dernier cours de généalogie. Si on a sûrement tous de bonnes raisons de s’intéresser à ses ancêtres, qu’elles soient d’ordre culturel, religieux, social, existentiel – ou qu’elles relèvent simplement de la curiosité, d’où vient la psychogénéalogie ?
La souffrance en héritage
On dit de l’histoire qu’elle se répète. Loin du culte des ancêtres, la psychogénéalogie voit dans les souffrances des patients la répercussion inconsciente de traumatismes non résolus au sein de leurs familles, selon un principe de « loyauté invisible ».
Le concept, apparu dans les années 1970, est théorisé par la psychologue française Anne Ancelin-Schützenberger dans son livre Aïe, mes aïeux (éd. Desclée de Brouwer), paru en 1993, après vingt années de pratique. D’après elle, « les évènements, traumatismes et conflits vécus par les ascendants d’un sujet conditionnent ses comportements, ses troubles psychologiques et ses maladies ». La méthode consiste ainsi à remonter aux origines des souffrances dont on « hérite » pour mieux s’en défaire.
Marie-Pierre, 53 ans, souffre de dépression et d’un sentiment d’abandon latent qui culmine tous les dix ans depuis son adolescence. À 47 ans, la souffrance est telle qu’elle décide d’enquêter sur sa généalogie. « Je savais que mon grand-père était un enfant de l’assistance publique ». L’enquête de sa généalogie va lui révéler une répétition, « un scénario de l’abandon sur quatre générations », jusqu’au secret ultime, l’existence d’un demi-frère que son père n’a jamais reconnu. Son médecin parle de « tendance familiale dépressive ». La psychogénéalogie permettra à Marie-Pierre, sinon de guérir, au moins de « redistribuer » le poids de sa souffrance. Mettre des mots sur un mal-être existentiel, le comprendre et apprendre à ne plus vivre seule avec.
Une méthode qui fait débat
Bien des personnes trouvent des réponses dans l’analyse transgénérationnelle de leurs maux et il pourrait sembler, à leur égard, déplacé de critiquer l’outil de leur mieux-être.
Pourtant, le sujet prête à débat depuis des années, au sein de la communauté psychanalytique et au-delà. Parce qu’à travers la question de la psychogénéalogie pointe celle d’un certain déterminisme. Celui de considérer que nos vies sont conditionnées par les souffrances silencieuses de nos ancêtres. Or, en psychanalyse, le sujet n’est justement pas « déterminé ».
D’autres confrontent la théorie à ses propres incohérences. C’est le cas de Nicolas Gaillard, du collectif CorteX. « L’adhésion à la psychogénéalogie repose sur des coïncidences qui paraissent incroyables », explique-t-il, « alors que statistiquement, il serait plutôt improbable de ne trouver aucune correspondance d’évènements peu précis parmi trois, quatre ou cinq générations d’une même famille ».
Il met également en cause l’irréfutabilité de la théorie transgénérationnelle. Lorsqu’Anne Ancelin constate qu’une patiente développe un cancer à 34 ans, l’âge auquel sa mère est décédée, elle en déduit la répétition d’un traumatisme – sans qu’aucune validation scientifique ne puisse confirmer ou infirmer l’hypothèse.
L’arbre qui cache la forêt
La liste est longue des pratiques pseudo-scientifiques qui visent à expliquer et traiter nos souffrances : sophrologie, magnétisme, hypnose – et jusqu’à des pratiques plus obscures comme la psychophanie. Des dérives sectaires peuvent se produire, à l’image de la Biologie Totale des Claude Sabbah et autres Jodorowski – qui avait gourous et adeptes jusqu’à Vancouver.
Les dérives ne sont heureusement pas systématiques, mais les pratiques dites « alternatives » doivent être appréhendées avec une certaine vigilance – et la psychogénéalogie ne fait pas exception, même si elle repose sur une démarche de recherche similaire à la psychanalyse, qu’elle pousse au-delà de l’enfance du patient.
L’au-delà. Nous, nos fantômes – et leurs histoires que nous portons avec eux. Les morts que nous ramenons à la vie, les absents que nous faisons réapparaître. Serions-nous cet arbre qui cache une forêt invisible ?