Comme un poisson dans l’eau. C’est ainsi que je me suis sentie quelques jours après mon arrivée à Vancouver. La cause ? L’absence apparente d’obstacle à mon intégration à ce nouvel environnement. La langue ne formant aucune barrière entre le Canada et moi, la culture n’étant pas assez éloignée de la mienne pour que je me sente instantanément dépaysée et enfin, les habitants de ma ville d’accueil étant si sympathiques que, vraiment, il m’était impossible de trouver une ombre au tableau.
Je suis arrivée le 3 septembre 2015 à Vancouver, pour mon année d’échange universitaire à l’Université Simon Fraser, où j’allais étudier la criminologie, entre autres matières.
Je me trouvais à près de dix mille kilomètres de la France et de ma famille, et j’étais au comble de la joie.
En réalité, ce qui me plaisait le plus était de pouvoir parler anglais tous les jours. Car, voyez-vous, j’adore l’anglais. Je me passionne pour cette langue depuis des années, je suis devenue bilingue et j’ai découvert avec émerveillement la conséquence du bilinguisme : la confusion entre deux langues. Je rêve en anglais, je pense en anglais. Je peine parfois à transposer mes idées dans ma langue maternelle lorsque je parle à ma famille ou à mes amis de France… Oui, je suis devenue l’une de ces personnes insupportables qui disent qu’elles « confondent les deux langues, c’est dingue » ! Je découvre d’ailleurs qu’au Canada, tout le monde semble disponible à converser avec autrui, dans la rue, dans les magasins ou dans les transports en commun. D’où je viens, outre le côté socialement inapproprié de la démarche, il est même un peu suspect d’agir de la sorte. A plusieurs reprises, on a cru que j’étais moi-même canadienne, et cela sonna comme le meilleur compliment que je reçus de toute ma vie.
Pour revenir à la confusion des langues, je ne me suis jamais autant aperçue de ce phénomène étrange que lorsque je me suis retrouvée en territoire anglophone. Comment une langue apprise longtemps après ma langue maternelle pouvait-elle prendre parfois le pas sur mes pensées ? Pire, comment se faisait-il que j’agissais et parlais différemment en anglais ? C’est à partir de là que j’ai développé un concept qui explique ce curieux phénomène : la schizophrénie linguistique. Je précise que je n’ai pas déposé de brevet pour cette théorie et j’espère que personne ne l’a nommée ainsi avant ! J’ai effectivement constaté que, souvent, on pouvait connaître des modifications de sa personnalité selon la langue dans laquelle on s’exprimait. En ce qui me concerne, je remarque que je suis beaucoup plus bavarde et expressive lorsque je converse en anglais, et ce avec qui que ce soit, comparé à mon comportement lorsque je parle en français. Mes cousins vivant aux Etats-Unis depuis quinze ans m’ont d’ailleurs confirmé qu’ils avaient également constaté ce phénomène. Je n’ai pas de réponse très scientifique qui expliquerait ce mystère. En tout cas, je songe sérieusement à fonder l’Association des schizophréniques linguistiques, parce que j’estime que la société devrait être davantage sensibilisée à notre quotidien difficile…
Pour revenir à ma ville d’accueil, Vancouver, on l’aura compris, est synonyme de diversité culturelle. Je ne l’ai constaté que très récemment lorsque, entourée de personnes parlant un certain nombre de langues étrangères dans un restaurant indien, j’ai réalisé combien ce mélange fonctionnait. Notre lien, ai-je pensé, était l’anglais et le choix de s’être trouvé dans cette ville. Je me suis prise à penser la chose suivante :
Vancouver serait-il le seul endroit où les cultures, aussi différentes soient-elles, pourraient s’entendre sans se taper dessus ?
Vancouver serait-il le contre-exemple à l’idée très populaire selon laquelle on est parfois « trop opposé » culturellement, tellement qu’il ne vaudrait même pas la peine d’essayer de s’entendre ? J’ai vu en Vancouver un bazar de cultures qui fonctionne, je ne parle ni de perfection, ni d’intégration complète… Juste de coexistence efficiente.