Même quand l’économie mondiale tourne au ralenti, l’industrie des croisières ne connaît pas la crise. Ce secteur affiche un revenu mondial annuel de quarante milliards de dollars. C’est un chiffre d’affaires qui bénéficie d’un taux de croissance de 7 % par an. Les navires sont de plus en plus gros, certains transportant jusqu’à six mille passagers. Quinze nouveaux paquebots entrent en service cette année, sans compter les plus petits vaisseaux affectés aux croisières fluviales. Le chantier naval de Saint-Nazaire, en France, qui se spécialise dans la construction de ces superpaquebots a déjà suffisamment de commandes pour être assuré de tourner à plein rendement pour les dix prochaines années.
Le secteur des croisières a longtemps été un marché anglophone. Typiquement, le paquebot quitte Miami chargé d’Américains, de Canadiens et de Britanniques en route vers les Caraïbes. Les escales se font surtout dans des îles anglophones qui offrent un minimum de dépaysement, car les croisiéristes ne sont pas des aventuriers, ils recherchent avant tout la sécurité et la facilité. Les compagnies vendent l’idée de luxe à bas prix. En fait, le tarif de base couvre à peine les frais. Les profits proviennent des dépenses supplémentaires que les passagers feront dans les bars, boutiques et casinos de ces immenses centres commerciaux flottants. Les excursions organisées lors des escales sont également très lucratives pour les compagnies de croisières. Pour augmenter les profits, il s’agit de faire dépenser les passagers de plus en plus tout en payant les employés de moins en moins.
Ces croisières de rêve à bas prix ne seraient pas possible sans l’immense réserve de main-d’œuvre bon marché recrutée dans les pays pauvres. Ces galériens des temps modernes travaillent en général douze heures par jour, sept jours par semaine, sans aucune journée de repos pendant la durée de leurs contrats (de six à douze mois). Les salaires varient selon les fonctions. Ceux qui sont en contact avec les passagers et obtiennent leur part de pourboires ou des commissions sur les ventes gagnent en moyenne deux mille dollars par mois. Ceux qui lavent la vaisselle ou travaillent à la buanderie peuvent espérer toucher entre cinq cent et mille dollars par mois. Mais avant d’embarquer, ils ont dû payer l’agence de recrutement (aux Philippines, en Inde, à l’île Maurice ou ailleurs) et acheter leurs uniformes, ce qui veut dire que, souvent, les premiers mois de salaire ne servent qu’à rembourser leurs dettes. Les conditions de travail sont dures. Deux personnes partagent une petite cabine sans hublot. La nourriture n’est pas la même que celle des passagers. Beaucoup n’ont jamais le temps d’aller à terre aux escales. L’employé victime d’un accident ou d’une maladie est immédiatement congédié et renvoyé dans son pays. Même si les bateaux appartiennent à des compagnies américaines ou britanniques, ce ne sont pas les codes du travail de ces pays qui s’appliquent à ces navires qui naviguent sous les pavillons de pays comme le Vanuatu, Panama ou les îles Caïmans. A bord, une armée de petits chefs maintient une discipline de fer. L’ordre le plus souvent répété est de sourire et d’avoir l’air heureux, car il ne faut pas gâcher le plaisir des passagers.
Certains ont cru que le modèle, trop dépendant du seul marché américain et des retraités, allait bientôt atteindre une certaine saturation. Les croisières qui partent de Vancouver en route vers l’Alaska ne bénéficient à l’heure actuelle que d’un taux de croissance très faible. Mais à l’échelle mondiale, l’industrie semble réussir sa diversification. La croissance est forte dans les marchés européens non-anglophones et les navires ne se contentent plus des Caraïbes et de la Méditerranée. En Asie, où l’industrie des croisières était quasiment inexistante il y a seulement cinq ans, elle jouit maintenant d’une croissance annuelle de 34 %.