J’ai eu beau porter ce projet d’expatriation de longs mois précédant ma venue à Vancouver, j’y suis arrivée en traînant les pieds. Je suis attachée à ma ville natale, à ma culture, à ma gastronomie. La veille de mon départ, je me suis offert un festin de fromages, de foie gras et autres splendeurs viticoles pour arroser cela.
Je doutais : qu’allais-je bien trouver au bout de mon trajet si ce n’est ce plat qu’on me dit répandu dans tout le Canada, étrange mixture composée de frites baignant dans une sauce brune, recouverte de caillots de fromage fondu ?
L’avion s’est posé un vendredi d’août, vers 11 heures. Épuisée par le voyage, exténuée par l’attente pour la délivrance de mon visa, je subis de plein fouet le décalage horaire de neuf heures qui me séparent de chez moi. Après avoir déposé mes bagages dans le Bed and Breakfast réservé depuis Paris, je commence à errer péniblement en plein après-midi sur Cambie et décide de partir à la découverte de la ville.
Ma course s’arrête vite. J’entre dans un restaurant asiatique ensommeillé, autant que je le suis. Mes sens se réveillent doucement quand une première cuillerée de soupe chaude caresse ma gorge. L’odeur de la citronnelle qui nage dans mon phở chatouille mes narines. Une jeune femme dépose sur ma table deux nems croustillants, tout en m’adressant un sourire bienveillant. Ils sont fumants, délicatement enroulés dans des feuilles de menthe fraîches et lumineuses. Sans attendre, je cède à la curiosité de goûter ce mets et me brûle le palais. La menthe est veloutée et son goût léger contraste dans ma bouche avec les épices explosives : cumin, gingembre, cari et cardamome. Le tout est exquis. Mon repas terminé, je salue la serveuse et une dame âgée qui porte un tablier.
Je suis heureuse d’avoir échappé au fast-food pour ma première journée !
Mais ma satisfaction sera de courte durée.
Quelques jours plus tard, des amis m’invitent à Granville Island. Je les ai entendus parler de poissons. Je me réjouis. Fish and chips. Ah ! ? Pas tout à fait la grillade que j’imaginais. « Puisque tu es là, tu dois goûter ça ! », me suggère vivement l’un d’eux. Au vu de la foule qui se presse devant le modeste stand, je m’incline. Une fois la barquette devant moi, je trie la friture pour ne savourer que le poisson blanc, un morceau de cabillaud moelleux et généreux. Je fais l’impasse sur les frites et le coleslaw, mais mes amis me font les gros yeux. Je goûte. J’ai honte. Je me régale ! Je mange avec les doigts et la joie partagée de ce repas est bien là.
En novembre, je suis conviée à dîner pour la fête de Hanoukka. C’est la célébration du miracle d’une lampe à huile qui brûla pendant huit jours… soit de la friture à tous les plats ! On me présente des latkes, de la challah, une soufgania. J’attaque l’une des galettes de pommes de terre râpées. Un délice croquant, servi chaud, qui fond sous la dent. Tous les convives se sourient, la communauté est ravie, et moi aussi. Je dérobe un beignet sucré, frit lui aussi, garni de compote. Savoureux.
Sur le chemin du retour, dans la rue, je lève la tête et observe les enseignes des restaurants : coréen, indien, japonais, sud-africain, c’est sans fin. Comme je me délecte de ce « melting popote » !
Je suis peut-être loin des variétés de camembert, mais la diversité gastronomique est telle à Vancouver que finalement, cette cité est bien devenue un chez-moi.