Combien d’artistes connaissent l’angoisse de la page blanche ? Mais une fois vaincue, la créativité prend place. La bande dessinée n’échappe pas à la règle. Le Vancouver Comic Arts Festival mettra à l’honneur le coup de crayon de plus de 250 artistes lors des 21 et 22 mai prochains. L’évènement aura lieu au Roundhouse. Deux jours de curiosité et de célébration de la bande dessinée, un art parfois dénigré à tort.
C’est un succès grandissant avec les années pour ce festival, dont ce sera la 5e édition. Familiale et accessible à tout public gratuitement, la scène francophone y présentera sa diversité, notamment à travers les imaginaires de trois artistes singuliers dont les créations viennent du cœur.
L’influence des écoles de bande dessinée
Trois écoles animent les bulles des dessinateurs : japonaise avec les mangas, américaine et ses supers héros, et européenne à l’accent fortement belge. Benjamin Hayte, français, Isabelle Melançon, québécoise, et Ashka, française, tous y piochent pour créer leur propre identité visuelle, et cela depuis l’enfance. La culture française et le bilinguisme permettent l’accès à cette diversité. Tous les trois se souviennent avoir débuté le dessin par des copies de BD ou de mangas, sans plus jamais avoir cessé de dessiner tant c’était devenu une addiction.
Pour Benjamin Hayte, le dessin a toujours été présent, notamment avec son père qui peignait. Ayant grandi à la frontière franco-belge, il était presque inévitable qu’il tombe dans la marmite étant petit. Il a copié les Tintin, puis a créé ses BD de 2 pages au départ. Son univers est aujourd’hui un mélange de réalisme et d’imaginaire, avec une prédilection pour la création de mondes singuliers.
Ashka a surtout été nourrie par l’influence japonaise et européenne. Ses premiers dessins étaient des mangas, facilement accessibles en matière de tarif. Ces trois écoles l’inspirent, tout comme les jeux de rôles.
Isabelle Melançon elle aussi a grandi dans un universriche de bandes dessinées et de mangas. Le 19e siècle vient accompagner sa production, avec une volonté d’anti-genre dans ses histoires, notamment avec sa création Namesake. Elle affirme que le processus créatif dépend de l’accessibilité : « Parler français me donne accès à deux fois plus de littérature que plein de gens que je connais. Mais parler français, par exemple, en Alberta, où trouves-tu des BD en français à part sur Amazon pour les acheter ? »
De la frustration naît la créativité
Des grands studios qui font rêver, comme Disney, aux plus modestes, Benjamin et Ashka en sont revenus tant ils ont été artistiquement frustrés. Suivre le story-board sans avoir la moindre possibilité de proposer des choses, voilà un amer constat. Pour Benjamin, beaucoup d’écoles forment « des industriels » en Amérique du Nord. Il nous alerte sur l’attitude de certains dessinateurs ou studios qui cherchent à être davantage populaires que créatifs. Si la French Touch a encore de beaux jours, c’est peut-être grâce aux formations plus touche-à-tout. Il explique : « En France, on ne regarde rien ni personne, en école ils nous demandent de nous trouver nous-mêmes. Quand tu as cette chaleur intérieure, ils savent allumer la lumière. »
Isabelle Melançon regrette le manque de diversité culturelle et visuelle que les maisons d’édition entretiennent. « Mon projet a commencé il y a 5-6 ans, j’étais vraiment fâchée parce qu’il y avait une mode d’histoires inspirées des contes de fées, c’était toujours l’idée la plus prévisible possible, ça m’a mise en furie. » Une production loin de refléter les talents encore dans l’ombre. Ce sont ces constats qui les ont poussés, tous les trois, à créer leur propre univers. Ashka déclare « mon travail c’est mon cœur ».
Les réseaux sociaux comme outil indispensable
L’épanouissement, ils le trouvent dans leurs créations. Totalement indépendants, le nerf de la guerre est le temps. Mais pour rien au monde ils n’y renonceraient. Avec l’émergence des sites comme Instagram, Tumblr, Tapastic, Kickstater (site de financement participatif), Webtoon, les web-séries, ils exposent et gèrent leurs productions. La durée de vie moyenne d’une BD en édition traditionnelle est de 6 mois, difficile de s’imposer dans ces conditions. Les réseaux sociaux permettent également de développer des univers singuliers. La bande dessinée d’Ashka est inspirée du jeu de rôle Changeling, elle a déjà près de 800 pages de script.
Benjamin utilise les réseaux sociaux pour garder une dynamique de production. Poster tous les jours oblige à créer. Sans se fixer de limite, il reste exigeant : « J’ai envie de pousser les limites graphiques : le cinéma de Buster Keaton par exemple m’inspire. C’est trop facile d’être simple. » Il travaille sur un nouveau projet en noir et blanc dont l’histoire est déjà prête. Ashka et lui jouent avec les émotions des lecteurs, c’est même un leitmotiv pour sortir du convenu. Benjamin qui veut faire voyager les gens avec le dessin a, grâce aux réseaux sociaux et aux festivals tels Van Caf, envoyé son livret d’illustrations dans 9 pays.
Le Van Caf sera une sorte de relai entre internet et la rencontre du public. Un peu de fraîcheur dans un processus de travail solitaire. Ils espèrent tous s’y amuser et toucher les gens. Isabelle conclut en prônant l’expression de la diversité, « il faut de la cacophonie et non une symphonie, ne pas rester froid et accepter les différences pour les mélanger. »
Les artistes:
Ashka : http://www.ashkaa.com/
Isabelle Mélançon : http://namesakecomic.com/
Benjamin Hayte :http://benjaminhayte.net
http://benjaminhayte.net/galerie.html