Dans le Léviathan, Hobbes prévenait que « l’homme est un loup pour l’homme ». Quand l’homme se fait vengeur, au nom de certaines valeurs, il exprime dans toute son horreur ses instincts lupins. Or l’homme ne peut se faire justice lui-même. C’est pour cette raison que les lois encadrent nos sociétés fondées sur des principes démocratiques prônant la justice et l’égalité pour tous.
Le législateur canadien est intervenu en 2015 pour condamner les « pratiques culturelles barbares ». Que recouvrent ces termes ? Le débat ne mérite-t-il pas d’être élargi, sans chercher à stigmatiser une catégorie de la population ?
Pour comprendre ces enjeux, La Source s’est entretenue avec Antje Ellermann, professeur associée du département de Sciences politiques à l’Université de la Colombie-Britannique, spécialiste des questions de citoyenneté au sein des démocraties libérales et des politiques d’immigration.
Pratiques barbares, pratiques sexistes ?
Ce que l’on entend par « pratiques culturelles barbares », ce sont principalement des violences faites à l’encontre des femmes, crimes et délits punis par la loi.
Concrètement, il s’agit de crimes d’honneur – de parents qui tuent leur enfant dont le comportement est jugé déshonorant pour la famille –, du mariage forcé, du mariage de « personnes de moins de seize ans », de la polygamie, de l’excision.
Une définition officielle est proposée en page 9 du Guide d’étude 2012 « Découvrir le Canada » sur les droits et les responsabilités liés à la citoyenneté : « Les hommes et les femmes sont égaux devant la loi. L’ouverture et la générosité du Canada excluent les pratiques culturelles barbares qui tolèrent la violence conjugale, les «meurtres d’honneur», la mutilation sexuelle des femmes, les mariages forcés ou d’autres actes de violence fondée sur le sexe.»
Une loi d’initiative conservatrice au bien-fondé controversé
Démocrates et libéraux au départ s’y opposaient. Pourtant, le projet de loi S-7 est devenu loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares. « Sa valeur est hautement symbolique », remarque Antje Ellermann. Il semblerait, commente-t-elle, que « cette loi ait politisé un problème qui n’en était pas véritablement un, puisque ces actes somme toute peu répandus étaient déjà définis comme illégaux au regard de la loi pénale canadienne ». Alors, beaucoup de bruit pour rien, semblerait-il.
Notons que cette loi L.C. 2015 ch. 29, du 18 juin 2015, est apparue dans un contexte particulier. Stephen Harper, chef du parti conservateur au pouvoir pendant près de dix ans, en a fait sa stratégie électorale : utiliser la politique identitaire comme enjeu pour s’attirer les votes.Au vu de ses champs de bataille (retirer la citoyenneté canadienne aux terroristes bi-nationaux, interdire le port du niqab lors de la prestation de serment de citoyenneté, retard dans le traitement des demandes des réfugiés syriens), difficile de ne pas y voir une attaque contre la communauté musulmane dans son entier.
Une fausse question d’immigration ?
Antje Ellermann tend à dire que le sujet crée une séparation entre une société canadienne qui assure l’égalité des sexes, et une communauté immigrée musulmane qui vivrait, pour une minorité, dans un passé marqué par le patriarcat et des pratiques violentes.
Pour elle, « le gouvernement Harper n’a pas voulu prendre de mesure satisfaisante concernant les violences faites aux femmes, mais a simplement voulu manipuler l’opinion en agitant le drapeau de la xénophobie à des fins de victoire politique ». Les crimes d’honneur restent rares (13 reconnus entre 2002 et 2012), mais attirent le regard des médias. Ce qui l’est moins en revanche, c’est la violence subie par des centaines de femmes autochtones, portées disparues ou assassinées. Aussi, tous les six jours, une femme meurt sous les coups de son partenaire ; et les agressions sexuelles ne cessent d’augmenter (460 000 par an).
Le professeur souligne que le pays n’est pas épargné par les courants racistes et sexistes. Et de conclure qu’il serait judicieux de sensibiliser l’opinion sur la violence faite aux femmes et chercher à réduire l’inégalité entre les sexes, bien présente au Canada.
Si cette question qui continue d’alimenter débats et réflexions vous intéresse, une conférence gratuite, donnée par l’Université Simon Fraser, aura lieu le 18 mai à 19h : Salle 402, City Centre Library, 10350 University Dr., Surrey.