Vous connaissez le dicton : « En mai, fais ce qu’il te plaît ». Je l’ai pris à la lettre, en fait je l’ai plutôt pris au mot. Nous avons trop tendance à l’oublier, mais les mots veulent dire quelque chose. Ils valent leur pesant d’or. Ils ont leur raison d’être. Ils ne sont pas là pour rien. Ils expriment des idées. Ils évoquent une pensée, des sentiments, des sensations. Ils provoquent. Ils étonnent. Ils décontenancent. Ils surprennent. Ils désarçonnent. Ils bousculent. Parfois, ils résonnent. Souvent raisonnent. Ils apaisent ou déçoivent. Ils sont là pour nous et nous pour eux. On ne peut se passer d’eux.
Parce qu’ils prennent tant de place dans ma vie, j’ai voulu leur rendre hommage. J’ai ainsi dressé, par catégorie, une liste de mots qui m’affectent d’une manière ou d’une autre. Je reconnais et j’avoue que mes mots à moi ne sont pas nécessairement des mots à vous. À vous d’en tenir compte ou pas. Loin de moi l’idée de vous mettre les mots à la bouche. Ma liste, très restreinte, n’engage que moi.
Voici donc, en peu de mots, le catalogue des mots qui me motivent et d’autres qui m’offusquent ainsi que ceux qui, à l’occasion, me dérangent à tel point qu’aucun mot ne me vient à l’esprit pour exprimer les maux qu’ils me causent.
Tout d’abord, les mots printaniers, ceux qui habitent mon imaginaire et qui me donnent l’air de rêver: bourgeon, fleur, fraîcheur, senteur et, à tout seigneur, tout honneur, mai, le mois qui évoque en moi le parfum du muguet cueilli sous les bois. Un mois qui se distingue aussi par l’ardeur au travail dont font preuve, dans certains pays, les travailleurs en s’octroyant un jour férié dès la première journée du mois. Le 1er septembre étant trop loin, autant profiter de la douceur du printemps pour prendre congé. Mai, pour les catholiques, c’est le mois de Marie. En mai les amoureux se marient. Mai, mois de la révolte, pensez 68 en France. La Fête des mères se célèbre en mai. Alors qui dit mieux ? Mai un mot émouvant. Mai, un mois que mille mots ne peuvent décrire.
Passons aux mots qui illuminent, ceux qui vous éclairent, vous inspirent, vous habitent, vous obligent à garder les yeux ouverts. Je pense à ciel, lumière, soleil, lune, lueur et, même parfois un peu trop galvaudé, à amour. Des mots de toute beauté. Il en existe beaucoup, mais aujourd’hui, je n’ai retenu que ceux-là. Chaque jour me révélant sa surprise. Demain d’autres mots lumineux feront leur apparition. Qu’ils viennent. Ma porte leur est toujours grande ouverte.
Maintenant que dire des mots qui prêtent à confusion. Je n’en évoque que quelques-uns: pitié, tolérance, intrigue, paradis. Des mots à double sens. Prenons l’exemple de paradis. S’il s’agit de paradis fiscal, ce serait plutôt l’enfer pour l’honnête contribuable. Ce mot, paradis, est utopique. Sur terre, à ce que je sache, je ne vois pas de paradis, même si les agences de voyage voudraient me faire croire le contraire, et je n’ai encore jamais rencontré quelqu’un qui l’aurait visité au ciel. Quant à tolérance, j’ai des doutes sur ce mot qui se voudrait positif, une sorte de compromis. Je préfère que l’on dise embrasser ou accepter l’autre plutôt que de le tolérer. La réticence dans le mot tolérance m’ennuie. Elle me dérange. Je ne la tolère pas. Une ambiguïté inacceptable.
Et puis voici les mots qui font acte de présence et que, sans succès, j’essaie d’évacuer. Ce sont des mots qui font mal : haine, jalousie, trahison, supplice, abandon, insulte, injure, plaie. Ces mots vous blessent, vous meurtrissent. Ils vous font plier les genoux, vous obligent à baisser la tête ou à courber l’échine. Ils vous atteignent au plus profond de vous-même. Vous les recevez comme des grands coups portés à l’estomac. Ils vous déchirent le cœur. Ils engendrent la souffrance et invitent la rage à vous torturer; des invités que vous n’avez pas invités. À tous ces mots j’ai envie de leur dire :
« évacuez » dans l’espoir qu’ils voudront bien m’écouter.
Je ne vais pas conclure sur une aussi mauvaise note. Je préfère quitter avec des mots qui font rêver. Je pense à espace, cosmos, voyage, découverte, merveille ; des mots qui font appel à l’inconnu. Des mots que je reconnais mais qui me restent encore à découvrir. L’espoir fait vivre. Enfin, le mot de la fin.