Quand l’Allemagne a été réunifiée, Berlin s’est dépêchée d’effacer les traces de la guerre froide qui avait fait de cette ville la plus grande bizarrerie géopolitique de la planète. On a vite démantelé le mur qui encerclait les 3 zones d’occupation occidentale (américaine, britannique et française) et faisait de Berlin-Ouest un îlot capitaliste au milieu d’une Allemagne de l’Est communiste. Berlin aspirait à devenir une capitale européenne normale, que l’on viendrait visiter pour ses grands musées d’art et autres réalisations culturelles. Mais les études de marketing touristique ont vite démontré que la plupart des visiteurs étaient attirés avant tout par l’histoire récente et tragique de la capitale allemande, la période nazie, la bataille de Berlin et la guerre froide.
Certes, les grands palais prussiens situés aux alentours de la ville attirent leurs lots de touristes mais guère plus que le camp de concentration de Sachsenhausen dans une banlieue nord de la ville. Près de la place de Potsdam, au centre de Berlin, les touristes ignorent le nouveau centre commercial et cherchent les marqueurs de cuivre qui indiquent où passait le mur avant la réunification. Sur les vieux bâtiments historiques (situés surtout dans l’ancien Berlin Est) on remarque encore les milliers de petits trous dans les briques et les pierres causés par les impacts de balles lors de la bataille de Berlin.
Les entrepreneurs ont vite su tirer parti de cette fascination pour l’histoire tragique de Berlin. Une entreprise privée a reconstruit la guérite du checkpoint Charlie qui marquait le lieu de passage entre la zone d’occupation américaine et la zone soviétique. Plus qu’un simple poste de contrôle, la petite guérite au milieu d’une rue berlinoise est devenue le symbole de la guerre froide et de la division est-ouest. De nos jours, ce sont des employés déguisés en soldats américains qui sont là pour se faire photographier avec les touristes et les encourager à visiter le musée (privé) du checkpoint Charlie et son magasin de souvenirs. Dans un autre quartier, une entreprise privée a construit un musée de la vie en Allemagne de l’Est. D’autres entrepreneurs ont acheté des abris ou souterrains où se réfugiaient les Berlinois pour échapper aux bombardements pendant la guerre. Les visites guidées de ces bunkers sont très populaires.
Une dizaine d’années après la réunification, les autorités allemandes ont constaté qu’il n’était ni possible ni souhaitable d’ignorer le passé récent de la capitale mais qu’il ne fallait pas non plus laisser le champ libre au secteur privé qui ferait de Berlin une sorte de Disneyland de l’horreur. Ces dernières années, des parcs et monuments commémoratifs ont étés créés à la mémoire des victimes des dictatures nazies et communistes. Il y a, avant tout, l’immense mémorial de la Shoah, en plein centre de la ville, mais aussi des monuments à la mémoire des autres victimes, notamment les roms, les homosexuels, les témoins de Jéhovah, les opposants politiques, les prisonniers slaves, les Allemands de l’Est tués en tentant de franchir le mur. Une section du mur a été gardée, près de laquelle un musée a été ouvert. Sur le site de l’ancien bâtiment de la Gestapo, le musée Topographie de la terreur, qui retrace les horreurs de la période nazie, est un des plus visités à Berlin.
On aurait tort de penser que l’Allemagne ne fait cela que dans un but touristique, car aucun pays au monde n’a documenté ses crimes historiques de façon aussi complète. Les écoliers allemands amenés sur ces lieux commémoratifs témoignent du fait que l’Allemagne ne veut rien cacher de son horrible histoire. Le contraste avec le Japon est saisissant. Alors que des politiciens japonais vont régulièrement se recueillir sur la tombe de criminels de guerre, que le Japon refuse de reconnaître les crimes dont il s’est rendu coupable en Asie et souligne sans cesse Hiroshima et Nagasaki pour s’ériger en victime, l’Allemagne moderne multiplie les musées et lieux commémoratifs comme pour mieux exorciser les pages les plus infâmes de son histoire.