Les morts

Après les mots*, puis les murs*, voici les morts.

Le sujet de ma chronique est, je l’admets, en apparence, un tant soit peu macabre. Mais ce serait lâche de ma part d’ignorer et, pour des raisons de confort personnel, de passer à côté d’un sujet qui domine l’actualité.

Quarante-neuf morts. Je fais référence au massacre du club gai Pulse d’Orlando en Floride. Tous victimes de l’homophobie qui existe, on a tendance à l’oublier, parmi une couche de la société qui a de la peine à sortir d’une mentalité moyenâgeuse. Se réclamant d’un groupe extrémiste islamiste, ce djihadiste de pacotille, ce terroriste improvisé de basse échelle, a tiré à l’aide d’une mitraillette dans le tas de tous ces gens venus se divertir sans faire de mal à personne. Ils et elles ou eux tenaient à profiter de la vie. La mort les attendait. Une fois de plus, la haine a pris le dessus. Ces derniers temps, elle met les bouchées double. Cela devient insupportable. Les politiciens mécréants et quelques évangélistes irréductibles sautent sur l’occasion et récupèrent l’évènement à des fins pour le moins scabreuses pour ne pas dire nauséabondes. Servir leurs propres intérêts devient leur seule préoccupation.

Les victimes du club gai Pulse d’Orlando.

Les victimes du club gai Pulse d’Orlando.

Le crime depuis est passé au second plan. Les victimes oubliées. La mort banalisée. Orlando est devenu une référence, une affaire de statistiques et d’études comparatives. Les morts, les victimes, sont maintenant des nombres. À la suite du massacre, de l’historique, des chiffres et des diagrammes à l’appui, des différentes tragédies qu’ont connues les États-Unis, a immédiatement été dressé et publié. 49 morts. Record battu nous a-t-on clamé en long et en large. Manque de tact. Je me croyais déjà aux Jeux Olympiques d’été de Rio.

Après Columbine, Newton, San Bernardino et bien d’autres drames du genre, la liste est longue, c’est Orlando qui maintenant détient le record. À lire les journaux et suivre les actualités télévisées on a l’impression qu’il s’agit là d’une prouesse. Qui peut faire mieux ? L’invitation est lancée pour n’importe quel psychopathe, à la recherche d’une célébrité éphémère, de battre ce record.

Un peu de pudeur et de respect envers les morts seraient de rigueur mais il ne faut pas se faire illusion, nous sommes dans l’infotainment. Le sensationnalisme prime. La sobriété et le monde audio-visuel ne font pas bon ménage; les deux ne sont pas compatibles.

Au Canada, nous n’avons pas été épargnés. Nous aussi nous avons eu droit à nos tragédies. Nul lieu n’est à l’abri. Nul pays n’est hors d’atteinte de la folie humaine. L’insécurité, petit à petit, a pris pied dans nos sociétés. Elle s’est subrepticement installée dans nos esprits. Avec elle la méfiance et la haine ont surgi. Dorénavant elles nous accompagnent au quotidien. Quand je pense qu’au Canada plus de 8 millions d’armes à feu sont en circulation, cela ne me rassure pas. Loin de là.

Les forces du mal gagnent du terrain. Elles sont à l’œuvre et profitent de notre fragilité, de nos divisions, de notre incapacité à vivre ensemble, pour mettre à profit leurs objectifs diaboliques.

L’extrême droite, où qu’elle soit, ne voulant demeurer en reste, saute sur ces terribles évènements pour mettre de l’huile sur le feu. Elle attise les frictions. Elle se veut revancharde. Elle voit dans ces massacres une aubaine dont il faut tirer (mot peut-être mal choisi) profit. C’est affolant. Et, comble de désarroi, pas question, bien que cela paraisse comme une évidence, de davantage légiférer les ventes d’armes à feu. « Faites ce que vous voulez; touchez à mon pote si ça vous chante, mais ne touchez pas à mes armes à feu. J’y tiens comme à la prunelle de mes yeux ». Et vlan, attrape ce pruneau.

Au prochain attentat, au prochain massacre, les victimes d’Orlando ne seront qu’un éventuel souvenir, un chiffre parmi tant d’autres. Le temps ne sert pas les morts. À de rares exceptions, l’oubli demeure leur lot, leur destin. On n’y peut rien. La vie est ainsi faite nous dit le fataliste.

Par habitude, par réflexe, on compte donc les morts mais, c’est triste à dire, les morts ne comptent plus. Ils ne peuvent plus compter sur nous pour mettre fin à ces tueries et prévenir d’autres massacres, d’autres tragédies. Et nous, les survivants, nous poursuivons notre existence, tant bien que mal, entre la vie et la mort.

 

* chronique du 31 mai et celle du 14 juin 2016