L’itinéraire parcouru avant mon arrivée à Vancouver il y a presque cinq mois n’a pas été hors du commun. Je trouve pourtant pertinent de m’y référer afin d’ébaucher quelques-unes des impressions que je ressens depuis que j’ai atterri sur ce morceau de terre éloigné qu’est la grande métropole du Pacifique.
Originaire d’une petite nation européenne en quête d’indépendance (la Catalogne), j’ai eu la chance de vivre plusieurs années à l’étranger, notamment dans un minuscule mais vigoureux État en quête d’enlever toute trace soviétique (l’Estonie) et dans un ancien grand État en plein questionnement sur ses multiples exceptions sociales et sociétales (la France). Le Canada, par le biais de Vancouver, représente donc la quatrième réalité que je côtoie pour une longue durée.
Jusqu’ici, mes expériences dans ces pays avaient été marquées par un rapport très fort aux idées de patrie et de nation. Populariser la cause émancipatrice des Catalans, comprendre la hâte d’hypermodernisation des Estoniens et assimiler le franco-centrisme des Français étaient non seulement des données de la vie quotidienne de ces pays mais aussi des manières spécifiques de comprendre l’enracinement des gens sur leur territoire.
À partir de Vancouver, tout ce vécu paraît démodé. Des mots tels que patrie et nation apparaissent presque vidés de toute signification. Pour la première fois de ma vie, je me trouve à avoir affaire à un pays où la (ré) affirmation nationale n’est ni une nécessité ni un souhait. Le rapport à la nation est tellement modéré que parfois j’en oublie même que j’habite dans un pays nommé Canada.
Je suis conscient que ces lignes auraient pu être différentes si, au lieu de Vancouver, je les écrivais depuis Saskatoon, Laval ou Iqaluit. Mais il se trouve que je les écris en étant à Vancouver, lieu d’altérité sans précédent où toute la géographie de la planète est représentée. Ici, je dirais que les gens sont Canadiens presque par défaut. Puisque presque personne n’est né à Vancouver, y résider relève, plus que n’importe où ailleurs, d’un choix professionnel. La question nationale et identitaire, sauf pour marquer la différence avec les États-Unis, ne semble pas guider l’attachement à la ville et au pays qu’éprouvent ses habitants. Au bout du compte, ici les gens sont Canadiens et c’est tout ; fin de la discussion.
Quoi qu’il en soit, je ne cesse d’être impressionné par cette infinité de personnes qui ont opté pour tout laisser et venir s’installer ici, à Vancouver, où il est impossible d’arriver par hasard. Moi, qui ai une tendance accrue à prendre des décisions sans me renseigner au préalable, j’ignorais le tempérament socio-
démographique particulier de Vancouver et doutais de l’existence de cet accueil bienveillant, tolérant et apaisé que la ville semble réserver à tout le monde. Moi, qui, à la suite de mes expériences précédentes à l’étranger, m’apprêtais à expliquer systématiquement quelle était la nationalité que laissait deviner l’accent de mon anglais maladroit, je me retrouve face à un panorama où les gens trouvent tout à fait superflu que j’aie ou non un accent. Je suis donc un égal parmi les autres et, pour une fois, je ne vois pas cela comme un signe de médiocrité.
Cela étant dit, je reste un peu partagé au sujet de mes impressions sur Vancouver. J’ai du mal à adhérer à cet engouement généralisé que la ville semble susciter. Je comprends tout à fait que le dynamisme et la redéfinition permanente qu’offre un projet de ville en construction comme celui-ci engendrent de l’enthousiasme parmi ses citoyens. Cependant, je dois avouer qu’il me manque un ancrage avec une certaine idée de patrie et de nation, où il y aurait un substrat culturel d’idéaux et de valeurs à préserver et à transmettre en héritage aux nouveaux arrivants et aux générations futures. Mais bon, ne me prenez pas non plus au pied de la lettre. Je suppose qu’il s’agit, après tout, des tribulations habituelles auxquelles se confronte tout individu du Vieux Continent récemment débarqué dans le Nouveau Monde.