Le secteur touristique du Guatemala devrait être beaucoup plus florissant. Les pyramides Mayas qui émergent de la jungle à Tikal, le lac Atitlan entouré de volcans, la vieille ville coloniale d’Antigua, sont des lieux exceptionnels. Les plages de la côte du Pacifique et les mangroves de la côte est sont également des sites touristiques à même d’attirer les visiteurs. Si l’on ajoute à cela le fait que le Guatemala est un des pays les moins chers de toute l’Amérique latine, on peut se demander pourquoi il n’est pas au palmarès des vingt pays les plus visités au monde.
La raison principale est sans doute l’insécurité qui règne dans ce pays de quatorze millions d’habitants. En effet, avec une centaine de meurtres par semaine, il est difficile d’attirer les touristes même si cette violence généralisée ne vise pas particulièrement les visiteurs étrangers. Certaines statistiques sont tout de même édifiantes, notamment celles qui indiquent que 96 % des affaires d’homicides ne sont jamais élucidées et que l’écrasante majorité des vols n’est pas répertoriée dans ce pays où la police est réputée inefficace et corrompue. On voit des gardes armés partout : aux hôtels, aux grands restaurants, aux banques, aux parcs nationaux, aux sites touristiques et aux résidences privées des nantis. Même les camions de livraison de Coca-Cola sont accompagnés de gardes porteurs de fusils. Dans cette société encore très coloniale, une centaine de familles possèdent l’essentiel des richesses et une classe moyenne naissante se partage les miettes alors que la majorité (surtout les Amérindiens) survit tant bien que mal dans la pauvreté absolue. Ces divisions ne font qu’enraciner la violence, d’autant plus que ces divisions sont aussi bien raciales qu’économiques. Généralement, les riches sont blancs, les classes moyennes sont métisses et les pauvres sont Amérindiens. Les riches se protègent à grand renfort de gardes, de murs surmontés de barbelés et de voitures blindées. Le gouvernement abandonne ses citoyens à leur sort et concentre ses efforts à la sécurisation des sites touristiques, car ce secteur économique rapporte quelque deux milliards de dollars par an.
En 2014, le gouvernement annonça avoir atteint le cap annuel des deux millions de touristes étrangers. Il convient cependant d’examiner ces chiffres en détail. La majorité des « touristes » viennent des pays voisins (surtout El Salvador) pour faire des achats au Guatemala. Les Américains sont surtout des gens originaires du Guatemala qui reviennent au pays voir leurs familles. La plupart des autres proviennent des bateaux de croisière qui organisent des excursions très courtes et très sécurisées. Les autres Européens et Nord-américains sont surtout des « backpackeurs » épris d’aventures à bas prix. Un coup d’œil sur les forums internet spécialisés montre que la mauvaise réputation du Guatemala en matière de sécurité est un attrait supplémentaire. Ça permet de dire « je ne suis pas un simple touriste, je suis un aventurier ». En fait, si l’on évite la capitale (sale, laide et dangereuse), si l’on s’en tient aux lieux touristiques à peu près sécurisés, et si l’on évite de sortir tard le soir, on peut effectivement faire un voyage agréable sans grand danger.
Dans un pays où personne ne fait confiance à la police, les citoyens ont formé des milices de quartiers dont certaines ressemblent étrangement aux rackets de protection qu’elles sont censées éviter. C’est le cas à Monterrico, une plage touristique de la côte du Pacifique où les hôteliers et restaurateurs ont décidé de protéger discrètement leurs clients. Quand une personne qu’ils considèrent louche rôde autour des touristes, des « bénévoles » musclés lui ordonnent de quitter le village. Ceux que la milice considère coupables de vols ou d’agressions sexuelles sont tabassés et remis au poste de police de la ville voisine.
Au Guatemala, ces « justiciers » indépendants vont parfois jusqu’au meurtre. Comme m’a expliqué un membre de cette milice de Monterrico, « Il faut être discret, car les touristes n’aimeraient pas nous voir tabasser quelqu’un ».