Pour ceux qui détiennent un passeport d’un pays riche et qui ont commencé à voyager dans les 20 dernières années, tout était assez facile. Sortir de son pays autant d’argent que l’on veut, franchir les frontières d’un pays à l’autre avec un minimum de formalités administratives. Tout ça était considéré comme normal. Pourtant, l’histoire nous enseigne qu’en matière de voyages à l’étranger, comme pour le commerce en général, il y a des cycles d’ouverture mais aussi de fermeture.
Depuis l’avènement de l’ère industrielle, il y a eu une longue et forte période de mondialisation entre 1870 (à peu près) et 1914. C’était l’époque des grands empires coloniaux et des migrations massives qui ont peuplé des pays comme l’Argentine, le Canada ou l’Australie. Les capitaux circulaient aussi facilement que les gens et les marchandises, et grâce au développement des chemins de fer et des paquebots à vapeur, les « 1 % » de l’époque commençaient à voyager pour le plaisir, donnant naissance à l’industrie touristique moderne. Aux frontières, les formalités étaient légères, voire inexistantes. La frontière entre les États-Unis et le Mexique, par exemple, était complètement ouverte et on la traversait sans aucun document.
La Première Guerre mondiale a sonné la fin de la récréation. Par la suite, la grande dépression économique et la Seconde Guerre mondiale n’ont fait que verrouiller un peu plus les frontières. Ayant grandi dans l’Europe de l’après-guerre, je me souviens d’une époque où le contrôle des changes limitait le montant d’argent que l’on pouvait sortir du pays. Aller de Paris à Bruxelles nécessitait un arrêt au poste frontière. Quant à l’Europe de l’Est, celle qui se trouvait de l’autre côté du rideau de fer, c’était une autre planète. L’URSS était une terre inconnue que l’on disait paradisiaque ou infernale, selon son affiliation politique. Les Britanniques ont perdu le droit de circuler librement dans leur ex-empire devenu Commonwealth. Une visite aux États-Unis (excepté pour les Canadiens) nécessitait une visite préalable au consulat américain, avec de longues attentes et beaucoup de papiers à remplir. L’Amérique latine était surtout composée de dictatures violentes et xénophobes. La Chine de Mao était complètement fermée et le principal lieu touristique de Macao était le poste frontière d’où l’on pouvait apercevoir les panneaux de propagande maoïste.
La grande ouverture n’est revenue que dans les années 90, avec la chute du mur de Berlin et la dissolution de l’empire soviétique. En Europe, la disparition des contrôles frontaliers dans l’espace Schengen et l’adoption de la monnaie unique ont été deux des facteurs les plus marquants de cet épisode de mondialisation au pas de course. Selon les observateurs les plus enthousiastes, c’était la fin des nationalismes. La paix et la prospérité éternelles nous attendaient au tournant. On a oublié que la mondialisation du 19e siècle a créé des inégalitésgénératrices de tensions et des dérives financières débouchant sur de graves crises.
Dans les années 2000, l’histoire nous a rattrapés. L’islamisme politique ultraradical a fait fuir les touristes d’une grande partie du monde musulman. Les phénomènes migratoires incontrôlés amènent un nombre croissant d’électeurs à réclamer le rétablissement des frontières. Des pays réputés ouverts, notamment le Canada, exigent maintenant que tous les touristes étrangers (à l’exception des Américains) soient munis d’une pré-autorisation avant de voyager au Canada. C’est, en quelque sorte, un visa qui ne dit pas son nom. Si Trump est fier de son mur, d’autre en érigent de façon plus discrète. La mondialisation fait marche arrière et, durant ce long cycle qui s’annonce, il est peu probable que les voyages à l’étranger demeurent aussi faciles.