Adieu démocratie, on t’aimait bien. Adieu démocratie, on t’aimait bien tu sais. On a chanté les mêmes principes, on a chanté les mêmes droits, on a vécu les mêmes plaisirs, on a connu les mêmes joies, on a aspiré aux mêmes choses. On a espéré et cru aux mêmes causes. Adieu démocratie, je sais que tu vas mourir mais, avant que tu meures, je veux que tu saches que je t’aime bien.
Pour ton oraison (un peu prématurée, il est vrai), j’ai l’intention de ne pas oublier d’invoquer les raisons qui m’ont amené à parler de ta possible triste fin. Je les constate, je les déplore. Tu méritais mieux. Nous méritions mieux.
Nous t’avons tenue pour acquise alors que rien n’était acquis. On t’a négligée. On t’a laissée à toi-même estimant que tu avais atteint l’âge de maturité et qu’on pouvait te laisser voler de tes propres ailes. On a cru que tu allais prendre soin de nous sans nous apercevoir que c’était à nous de nous occuper de toi. Il nous incombait de te protéger, de satisfaire tes besoins, d’être à tes côtés, de t’accompagner au cours de toutes tes péripéties, de te protéger de tous les dangers. À la lumière de ce que l’on observe aujourd’hui, nous avons failli à notre tâche.
Les autorités malveillantes et fourbes, qui ont pris possession d’une multitude de contrées de par le monde, font ton procès sur la place publique. Les figures autoritaires, antidémocratiques te mettent sur la sellette, te placent au banc des accusés. On te pointe du doigt. On te rejette. On te chasse, on te pourchasse. On te piétine. On te bafoue. On t’égorge (Robert t’exagères, non ? – Oui, un peu, je l’admets mais…)
Démocratie, tu souffres de partout, sur tous les continents. Du nord au sud de l’Afrique, de Moscou à Pékin, du Brésil à Cuba, maintenant des USA au Royaume-Démuni, de la Turquie à l’Ouzbékistan, on se fout de toi. On t’écarte, on t’écrase. Tu encombres. Tu gênes aux entournures. Tu empêches les autocrates et les ploutocrates de tourner en rond. Pourtant, tu émanes du peuple et c’est ce même peuple qui maintenant te rejette. Pourquoi ? Comment expliquer cet abandon ? Avec l’entrée du populisme dans l’arène politique tu as perdu ta popularité. Tu sembles avoir fait ton temps. On a l’impression que tu fais partie du passé et que tu n’as plus d’avenir. Ce serait vraiment dommage de te perdre. Au fond tu as bien servi. Les Grecs de l’antiquité t’ont vénérée. Ils furent les premiers à croire en toi. De nos jours, ce même peuple grec s’accroche au concept qui l’avait déserté au temps des colonels, pour se faire dire qu’il doit en baver sous un régime d’austérité imposé par une Europe soi-disant démocratique. De quoi vous faire réfléchir et, surtout, de quoi vous faire douter. Ton nom est galvaudé et sert à toutes les sauces. Tu ne veux plus rien dire. D’où les abus dont tu es souvent la victime. On se moque de toi. On te porte en dérision. On te décrédibilise. On te tiraille, On te crache dessus. On t’a sapé le moral. C’est pour cela que tu n’en peux plus. C’est pour cela que tu es au bord du trépas. Trop bafouée, tu es méconnaissable.
Tu dois reprendre vie. Tu ne peux nous abandonner comme ça. Tu ne peux nous laisser orphelins d’un système, même imparfait à l’occasion, comme le tien. Et à défaut de trouver mieux, contentons-nous de ce que tu nous offres pour en tirer profit.
Nous voilà à ton chevet. Tu déclines à vue d’œil. Vis-tu tes derniers moments ? Doit-on te donner l’extrême onction ? Une dernière ponction ? Ouvre les yeux. Ne nous abandonne pas. Pour rien au monde nous ne voulons vivre sous un régime totalitaire. Aide-nous, on t’aidera.
Ah ! Je vois, tu reprends du poil de la bête. Tu as retiré le voile qui te couvrait la tête. Regarde-les. Tu peux les voir défiler de partout, de Washington à New-York, de Paris à Berlin, d’Ottawa à Londres, de Vancouver à L.A. Elles et ils sont dans la rue. Ils et elles scandent ton nom. Ils et elles sont des millions. Tout n’est pas perdu. Tiens le coup. Bientôt nous serons de partout. Tu es atteinte mais pas éteinte.
Salut démocratie, on t’aime bien. Salut démocratie on t’aime bien, tu sais.