Ici à Vancouver, c’est bien connu, tout le monde vient d’ailleurs. Ça m’a toujours plu, le côté multiculturel de cette ville. Pourtant, une des choses qui m’a tout de suite désorientée à Vancouver, c’est la façon terriblement fréquente qu’ont les gens de vous faire remarquer votre accent.
Quand 52 % de la population parle une autre langue maternelle que l’anglais, je me disais que personne ne s’intéresserait aux accents des autres. Aussitôt parlés, aussitôt oubliés. Mais non. À la question « Tu as un accent, tu viens d’où ? », je ressens la même gêne qu’une quinquagénaire à qui on demande son âge. Mon cerveau traduit : « Ton anglais est terrible, quel système éducatif a tenté de te l’enseigner ? ». Puis vient le compliment : « Ton anglais est super », ce qui est un peu l’équivalent de cracher un morceau de tarte et de vanter la cuisinière la seconde d’après.
Peut-être que je ne serais pas aussi susceptible si la question n’était pas aussi fréquente. Il suffit parfois d’un
« hello » de ma part pour la déclencher. À chaque fois, les différentes personnes me listent les endroits de France où ils sont allés : Cordes-sur-Ciel, Villemur-sur-Tarn, Saint Sulpice-la-Pointe. Non, je rigole, c’est toujours Paris. Surprise. Et la Provence et Marseille quand ils se sentent vraiment aventuriers. Je connais les vacances de mon marchand de hot-dogs par cœur, parce qu’il me les répète à chaque fois. Il ne semble jamais se rappeler que je suis la même Française que la veille. Au moins il ne remarque pas que je me goinfre de hot-dogs.
Du coup, un jour, dans l’ascenseur de mon immeuble, j’ai dit bonjour et on m’a demandé d’où je venais. C’était la deuxième ou troisième fois déjà (pause hot-dog oblige) et j’étais tellement lasse que j’ai répondu : « Ici. » L’homme a froncé les sourcils, confus. « Mais… vous avez un accent… » Je l’ai regardé droit dans les yeux, le défiant de me traiter de grosse menteuse. Il tente un faible : « Québec ? ». Je répète : « Non, ici. » Les doubles portes métalliques s’ouvrent et je m’échappe, le laissant se noyer dans son embarras. À voir sa tête, c’est comme si je lui avais dit que le père Noël n’existait pas. Crise existentielle. Ce n’était peut-être pas très adroit de ma part mais ça m’a fait du bien.
Bien sûr, venir d’ailleurs, c’est quelque chose qu’on doit célébrer. Je connais des amis qui sautent sur n’importe quelle occasion pour parler de leurs origines, de leur pays, de leur ville. Je sais aussi qu’on me pose la question pour faire la causette ou pour se voir demander « Et vous, d’où venez-vous ? » en retour. Ou, peut-être, dans 1 % des cas, parce que ça intéresse véritablement. Mais ça me fait sentir que je ne fais « que passer ». Comme si je sortais fraîchement de l’aéroport, en route pour m’acheter une peluche de caribou avant de repartir aussitôt manger du cassoulet à Toulouse. À Vancouver, les gens viennent et les gens partent et c’est parfois dur de s’enraciner. Encore plus dur quand on vous rappelle constamment que vous n’êtes pas d’ici. Et encore, je suis caucasienne. Je n’ai donc aucune raison de me plaindre à part l’infini plaisir que j’y prends.
Bien que je n’aie pas honte d’être Française, j’aimerais bien qu’on me parle d’autre chose quand on me rencontre. J’aimerais qu’on me demande ma couleur préférée (bleu pétrole), mon dessert de prédilection (cheesecake) et combien de chats je veux quand je serais vieille (17).
L’aspect pluriel de Vancouver est très attirant et on devrait s’intéresser à la culture des autres sans l’effacer d’une étiquette de « canadienne. » Mais une fois, juste une fois, j’aimerais acheter un hot-dog sans qu’on me rappelle que je devrais manger du cassoulet à la place. Peut-être parce qu’au fond, ça me manque terriblement.