Les années 1960 sont celles de la révolution sexuelle, avec une émancipation de la femme et la réinvention d’une sexualité à vocation hédoniste. Le Québec est probablement un des territoires au monde où ces transformations ont été les plus draconiennes, s’inscrivant pleinement dans la vague de changements de la Révolution tranquille. Dès lors, la littérature québécoise a été une incontournable caisse de résonance des diverses manières de penser le genre et de vivre le sexe. Un colloque lui est consacré ce mois de mars à Vancouver.
Pilier de la vie institutionnelle et bâtisseur du système de valeurs de la société québécoise, le catholicisme a vu sa présence se dégrader à la suite des réformes politiques entreprises à partir de 1960 par le nouveau gouvernement libéral de Jean Lesage. Le Québec est passé, presque d’un jour à l’autre, de la période connue comme la Grande noirceur à celle de la Révolution tranquille. En plus de la sécularisation de la vie publique, la Révolution tranquille a déclenché un élan de modernité qui a bouleversé, entre autres, les codes de l’expression de soi et le rapport au sexe.
Dès le début de la Révolution tranquille, la littérature québécoise s’est emparée de ces métamorphoses tout en redessinant les contours des notions de genre et de sexualité. Et cela, avec une intensité sans précédent, ni subséquent, nulle part ailleurs au Canada. Le résultat ? Une littérature singulière aux résonances propres, remplie de récits où l’identité homme/femme n’est pas assignée par le sexe biologique, où l’alternance d’orientations sexuelles est permanente, où les personnages oscillent entre hétérosexuels, homosexuels, bisexuels et/ou transsexuels.
Produire de nouvelles possibilités
« Ce qui est absolument exceptionnel dans la littérature au Québec c’est cette incroyable concentration de la question sexuelle. Tous les plus grands écrivains et cinéastes québécois y ont travaillé » exprime Jorge Calderón, professeur de littérature et culture de l’Université Simon Fraser et également responsable du colloque international revêtant ce même sujet. Celui-ci se tiendra les 16 et 17 mars à Vancouver et réunira des professeurs et chercheurs de plusieurs universités canadiennes et américaines.
Selon M. Calderón, le but du colloque « c’est de montrer comment la littérature québécoise a produit de nouvelles façons d’être et de vivre la sexualité ». L’œuvre du dramaturge Michel Tremblay s’avère l’exemple le plus marquant. « Tremblay a mis en scène des personnages gais, travestis. Il les a fait vivre, il les a fait exister, il a donc rendu un modèle qui a créé la possibilité de vivre d’une autre façon » rajoute Jorge Calderón.
Michel Tremblay et d’autres
En plus de Michel Tremblay, lors de ce symposium il sera question des principaux noms de la littérature du Québec, dont les poétesses Nicole Brossard, Anne Hébert ou Denise Boucher, le dramaturge Michel Marc Bouchard, la romancière Nelly Arcan ou encore le cinéaste Xavier Dolan.
C’est des liens entre ce dernier et Michel Tremblay dont parlera Loic Bourdeau, professeur de l’Université de la Louisiane à Lafayette, aux États-Unis. « On trouve dans la plume de Xavier Dolan beaucoup de l’encre de Michel Tremblay » assure M. Bourdeau, qui voit dans les personnages de femmes une des bases de leur filiation. Les femmes de Tremblay et de Dolan « expriment des désirs autres que la maternité » souligne-t-il. L’intervention de Loic Bourdeau portera cependant sur la masculinité telle que reflétée par ces deux auteurs, avec l’absence de la figure du père du côté de Michel Tremblay, et des homosexuels hommes qui échappent aux stéréotypes chez Xavier Dolan.
Si la plupart des communications s’intéresseront à des auteurs en particulier, la conférence inaugurale, prononcée par la professeure de l’Université de Sherbrooke Isabelle Boisclair, sera un passage en revue de la masturbation en tant que motif de la littérature québécoise. « Puisque la masturbation met en scène des personnages qui sont seuls, je me demande dans quelle mesure se jouent des stéréotypes attendus » dit Isabelle Boisclair. Sa conclusion est assez tranchante. Tandis que pour les personnages hommes la masturbation apparaît « liée à l’absence de partenaire », celle-ci est pour les protagonistes femmes une façon de « célébrer le plaisir ».
Tout compte fait, la littérature québécoise s’avère indéniablement susceptible de fonctionner comme objet d’étude aussi bien au Québec qu’en Colombie-Britannique où, dans la maison d’édition vancouvéroise « pure laine » Talonbooks, Michel Tremblay est traduit en anglais et lu avec avidité. L’élan révolutionnaire et libertin de la littérature québécoise est peut-être plus présent que ce que l’on n’aurait jamais pu imaginer.