Je suis partie de ma France natale à 18 ans. L’Italie, l’Angleterre et la Thaïlande sont devenus tour à tour mes nouveaux chez-moi. Chaque étape était une bouffée d’air frais, une culture à adopter, une langue à apprendre, et chaque fois ce sentiment de liberté où je pouvais être qui je voulais car j’étais différente, j’étais « l’étrangère ». Malgré l’excitation de chaque aventure, j’ai toujours eu l’impression que même si je restais, je ne cadrerais jamais vraiment.
Mais en arrivant à Vancouver il y a bientôt trois ans, j’ai eu une révélation : ici tout le monde, ou presque, est « d’ailleurs ». Qu’ils viennent d’une autre province canadienne ou de l’autre bout du monde, qu’ils soient de passage ou Canadiens de la deuxième génération, la majorité des Vancouvérois ont une histoire sur leurs origines. J’ai immédiatement senti que cette particularité aurait un effet profond sur mon adaptation. Ici, je suis comme tout le monde : différente. Comme beaucoup, j’ai plusieurs cultures et je parle plus d’une langue, mes parents vivent loin, mon partenaire est d’une autre nationalité, et mes amis viennent des quatre coins du monde. Si un jour j’ai la chance d’avoir des enfants, ils parleront plusieurs langues et auront des camarades de classe d’origine anglaise, mexicaine, chinoise ou allemande. Étonnamment, 90 % de mes amis ont des caractéristiques similaires. Nous sommes tous immigrants ou enfants d’immigrants, sans que l’on se sente stigmatisés comme on le serait en Europe par exemple.
Ce qui m’a toujours dérangée dans mon pays d’origine, c’est cette façon de juger et de commenter tout ce qui nous entoure. À Vancouver, j’ai découvert une ouverture d’esprit et une culture de non-jugement
qui m’a réchauffé le cœur. La méfiance est quasi inexistante, on part du principe que les gens sont tout simplement bons. Une fois, mon ami a remis de l’argent dans l’horodateur d’à-côté qui avoisinait les 2 minutes pour éviter que son propriétaire ne risque une amende. Une autre fois, un jeune homme m’a donné 20 dollars à la caisse du supermarché quand je me suis aperçue au moment de payer que j’avais oublié mon portefeuille. Jamais cela ne serait arrivé dans mon pays natal.
Ici, on peut être qui l’on veut, personne ne juge ou ne s’étonne. Bilingue ? Pas vraiment impressionnant. Cheveux bleus ? Pas de problème ! Acteur le jour et serveur la nuit ? Totalement normal ! Divorcé, deux enfants et remarié avec une personne du même sexe ? Pas de quoi s’offusquer non plus. Chacun vit sa vie sans ressentir le besoin d’expliquer ses choix professionnels, préférences sexuelles ou habitudes culturelles. Cela ne veut pas dire que tout le monde est d’accord avec tout le monde, mais plutôt que l’on comprend et surtout que l’on accepte que les autres vivent différemment.
Professionnellement parlant, dans mon pays, la photo est obligatoire sur le CV. Comme si l’employeur pouvait juger des compétences d’un individu par son sexe ou son ethnicité. Ici, la discrimination à l’embauche est interdite. Les femmes, les personnes handicapées, et les minorités visibles et autochtones sont encouragées à postuler et parfois même avantagées dans le processus d’embauche. L’expérience, les valeurs personnelles
et la motivation semblent être d’autant plus importantes que les diplômes.
Cependant, dans mes jours noirs, je ne peux m’empêcher de voir le revers de la médaille. Il m’arrive de penser que cette ouverture d’esprit est hypocrite, juste une façade bâtie sur l’utilisation facile du politiquement correct afin de sauver la face. Les Vancouvérois sont aimables, ouverts et serviables, pourtant le problème majeur rencontré par les nouveaux venus reste la difficulté à s’intégrer et créer des amitiés. Dans une ville où tout le monde est « l’étranger », pourquoi est-ce si difficile de s’y sentir chez soi ?