Entrez, entrez si vous voulez, dans l’arène politico-canadienne où se livre sous nos yeux un combat de titans mettant aux prises d’un côté les nécessités économiques et de l’autre les changements climatiques. Plus précisément, un féroce face à face entre les partisans du projet de pipeline Kinder Morgan contre ceux qui s’y opposent avec virulence. Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge comme on dit dans les Cantons-de-l’Est.
Si vous voulez bien vous installer, le spectacle, dont on vous parle depuis si longtemps, va enfin commencer. Après de longues hésitations et de nombreuses, mais vaines tentatives, nous entrons maintenant dans le vif du sujet. Nous sommes à la veille d’une lutte sans merci et peut-être sans fin. Qui sortira vainqueur, la tête haute et sur les épaules, de cet amphithéâtre où la logique n’est pas toujours respectée ? Les paris sont ouverts alors que se ferment lentement mais sûrement les portes de possibles retombées économiques rentables.
Mais, avant de poursuivre, permettez-moi de planter le décor et de vous présenter les acteurs du drame qui se déroule devant nos yeux. Au milieu de l’arène, attendant d’être fixé sur son sort, placé sous le signe du taureau, le projet d’expansion du pipeline Kinder Morgan qui piétine d’impatience en attendant de recevoir l’autorisation de transporter ce pétrole brut et sale extrait des sables bitumineux de l’Athabaska. Kinder Morgan sait que sa vie est sérieusement mise en danger. Il n’en est pas à sa première épreuve. Grâce aux soutiens de sa parenté, Trans Mountain Pipeline System, qui a les reins solides, les dents et les bras longs, se croyant ainsi tout permis, Kinder, de son prénom, persiste à croire que l’avenir lui appartient et se sent donc capable de faire face à n’importe quelle musique. L’animal sait se bercer d’illusions. Il s’estime invulnérable et trop puissant pour qu’on ose lui résister. Un véritable « bully » ce taureau mal culotté. Il a le mérite d’avoir dans son camp Rachel Notley, la première ministre d’Alberta qui défend avec vigueur, ça se comprend, les intérêts de sa province qui dernièrement vit des années maigres. Il peut aussi compter sur l’appui sans réserve des producteurs de pétrole qui à l’image de Trump n’ont cure de polluer la planète. Ils visent à satisfaire les intérêts des actionnaires et non ceux du menu fretin.
Pour lui faire face dans l’arène, admirez les picadors montés sur leurs grands chevaux. Ils sont là pour défendre leurs droits et surtout Mère Nature. Ils appartiennent à divers groupes autochtones et écologiques avec pour objectif : protéger l’environnement, et un mantra : mort aux pipelines. Ces gens-là ne badinent pas avec l’humour. Il faut les prendre au sérieux. Ils se sont déjà arrangés pour mettre à mort le projet Northern Gateway d’Enbridge et ne sont pas prêts pour autant d’accepter Kinder Morgan bien que ce dernier représente un moindre mal. Qu’importe, à coup de barricades et de contestations, leurs piques favorites assénées judicieusement, ces dons Quichottes de l’environnement ont réussi à affaiblir la bête qui, malgré tous les coups reçus, preuve de sa résilience, tient encore sur ses pattes en attendant l’arrivée du matador qui devrait en principe mettre fin sans pitié à ses jours.
Maître toréador se fait languir. Nous pouvons l’apercevoir dans les coulisses de l’arène avec son bel habit reluisant orange et vert. Il attend qu’on lui fasse signe avant de faire son entrée. Cela ne devrait pas tarder. Après tout il a gagné le droit, vu l’accord passé avec les Verts, de se présenter dans l’arène à titre de grand toréro. Son prédécesseur, toutefois, mauvaise perdante, ne désire pas lui céder la place aussi facilement. Elle tient à prendre un dernier bain de foule. Foule qui l’a rejetée de justesse, mais rejetée quand même. Nous en sommes là encore en attendant le moment véridique et peut-être fatidique.
Kinder, Morgan en expansion, toujours en piste, tourne en rond. L’empereur Justin placé dans sa loge de tribun en haut des gradins lui avait pourtant donné son aval suite au consentement du projet par l’office national de l’énergie. Les écologistes n’ont guère avalé cette décision. Justin doit trancher. Légalement il a les pleins pouvoirs. Le fédéralisme le veut ainsi. Mais osera-t-il lever le pouce vers le haut afin d’épargner la bête ou se pliera-t-il à la volonté du nouveau gouvernement provincial qui pourrait, s’il le voulait, en cas de refus, lui rendre la vie difficile en recourant à des poursuites judiciaires sans fin ? Dilemme qui devrait lui causer des nuits blanches.
L’arme choisie ? L’épée. Celle de Damoclès pour Rachel Notley qui brandit la menace d’utiliser le dangereux transport ferroviaire en cas d’échec du projet d’expansion du pipeline et puis celle, surnommée délai, cachée sous la petite cape rouge prête à donner l’estocade que favorise John Horgan, le futur nouveau premier ministre de la Colombie-Britannique.
Mais au fond, il va sans dire qu’à ce stade-ci, les spectacles de tauromachie devraient être interdits au même titre que l’exploitation et le transport de matières hautement polluantes.
Êtes-vous prêts pour la passe ? Tous ensemble : Olé ! Oléoduc.