Récemment, des manifestations contre le tourisme de masse ont été abondamment couvertes par les grands médias. De Barcelone à Majorque, de Dubrovnik à Reykjavik en passant par Rome et Venise, ceux qui ne bénéficient pas directement de l’industrie touristique ne supportent plus les inconvénients quotidiens qu’ils subissent quand le nombre de visiteurs est tel que cela ressemble trop à une invasion.
Certes, les manifs les plus médiatisées étaient parfois le fait d’une poignée d’anarchistes à la recherche d’une vague justification idéologique à leur soif de vandalisme. Il n’en reste pas moins que les plaintes de ceux qui ne bénéficient pas du tourisme sont raisonnables. Les chiffres montrent que, dans les quartiers historiques des grandes villes touristiques d’Europe, la population permanente baisse au fur et à mesure que les appartements sont transformés en logements touristiques. Les résidents ont l’impression d’être expulsés par les envahisseurs avec valises à roulettes. Les prix augmentent, les cafés sont toujours bondés, les magasins de quartier se transforment en marchands de souvenirs, les transports publics sont pris d’assaut par des jeunes Canadiens et Australiens armés de gigantesques sac à dos, bref, on comprend le sentiment de raz-le-bol des résidants qui voient dans le tourisme de masse, plus d’inconvénients que de bénéfices. Si l’on ajoutait à cela les incivilités des fêtards bruyants et alcoolisés, on se demande pourquoi la « touristophobie » n’est pas encore plus répandue.
Face à la colère qui monte, ceux qui gouvernent (à différents paliers de gouvernement) se sont trop longtemps contentés de laisser tout entre les bonnes mains du marché. Selon l’idéologie dominante, le tourisme à l’échelle mondiale est une nécessité économique qui fait des gagnants et des perdants. Tant pis pour les perdants, mais on ne peut rien y faire. Pourtant, ceux qui rêvent d’un capitalisme mieux réglementé dans l’intérêt des peuples sont capables d’imaginer mille et une manières de faire en sorte que cette industrie soit avantageuse pour tous. Imaginons des solutions !
On peut certainement mieux contrôler la prolifération d’appartements extraits du parc résidentiel par Airbnb. Berlin s’attaque au problème avec une efficacité toute germanique. On peut également imaginer une taxe sur les locations touristiques, qui servirait à financer des logements sociaux dans les quartiers historiques. De la même façon, les bateaux de croisière seraient mieux tolérés si leurs passagers étaient assujettis d’une taxe qui financerait des projets sociaux et culturels dans la ville visitée. En songeant aux bibliothèques vancouvéroises qui vous demandent de prouver que vous êtes résidant de la ville avant de vous accorder une carte de membre, je me suis mis à rêver d’un système semblable qui livrerait une carte d’accès prioritaire aux habitants de villes touristiques. Imaginez que, muni d’une telle carte, vous avez un accès prioritaire et bon marché aux musées et autre lieux culturels. Les touristes seraient alors vus comme étant ceux qui subventionnent votre vie culturelle et non plus comme des envahisseurs qui empoisonnent votre quotidien. On accepte depuis longtemps le concept de stationnement réservé aux riverains, alors, pourquoi ne pas étendre le concept à certains parcs et jardins publics. Une carte d’accès prioritaire permettrait aux gens d’un quartier touristique de franchir le portillon d’une partie d’un parc où ils pourraient jouer aux boules ou se reposer tranquillement sans devoir jouer des coudes avec une foule de touristes.
Certains ont déjà trouvé un moyen d’utiliser le tourisme au bénéfice de tous. C’est le cas de Civita Di Bagnoregio, petit village médiéval situé à 120 kilomètres au nord de Rome. Bâti sur un plateau miné par les glissements de terrain suite aux tremblements de terre, le village est en déclin depuis le seizième siècle. Son aspect n’a guère changé depuis le Moyen-Âge, et la longue passerelle qui permet d’y accéder n’est pas praticable pour les voitures. Inadapté au monde moderne, Civita semblait voué à une mort certaine. Des touristes s’y arrêtaient, jetaient un rapide coup d’œil aux vieilles ruines et repartaient aussitôt sans avoir dépensé un centime. Le maire a décidé de mettre un guichet à l’entrée de la passerelle d’accès et de faire payer chaque visiteurs de 3 à 5€ (selon la saison). Tous les médias d’Europe ont parlé de cette initiative. En quelques années, le nombre de visiteurs a été multiplié par 20 et ils ont tendance à rester plus longtemps et à s’intéresser aux bâtiments qu’ils contribuent à restaurer avec leurs billets d’entrée. Le village connaît maintenant le plein-emploi.
Quand le tourisme est utile à tous, il n’y a pas de « touristophobie ».