Quand les Européens rêvent de l’Amérique, ils pensent souvent aux grandes randonnées en voiture sur des routes presque désertes. L’idée de rouler pendant des jours, sans plans précis, évoque une image de liberté popularisée dans les films de Hollywood. Les Français, qui adorent faire semblant de parler anglais, appellent ça « un road trip ». Mes amis français s’étonnent donc, quand ils apprennent que je vis en Amérique du Nord sans voiture.
Ça n’a pas toujours été le cas. Je me suis longtemps déplacé partout en voiture, «comme tout le monde». Mais il y a une quinzaine d’années, habitant dans le quartier West End de Vancouver et me déplaçant en vélo et en transports en commun, j’en ai eu assez de devoir faire face à de multiple frais pour une voiture qui sortait rarement du garage. Ça n’a pas été facile, car, même inutilisé, ce véhicule permettait de rêver au jour où on allait conduire en toute liberté sur une jolie route de campagne. Mais finalement, je me suis vite habitué à mon nouveau statut de marginal sans bagnole. En voyage, je choisis des hôtels en plein centre-ville et, vu l’argent que j’économise en n’ayant pas de voiture, je n’hésite jamais à prendre un taxi. Mais je dois avouer que le voyage sans voiture est beaucoup plus facile en Europe, en Asie ou en Amérique latine qu’en Amérique du Nord où tout est conçu pour la bagnole. Étant à Montréal et voulant me rendre à Ottawa, j’ai été surpris de voir que pour deux personnes, louer une voiture était plus économique que le train et à peine plus cher que l’autocar.
Donc, j’ai dépoussiéré mon permis de conduire et je me suis rendu dans une agence de location du centre-ville de Montréal. J’ai attendu patiemment que la préposée de l’agence finisse de répondre aux nombreuses questions de deux couples de retraités français qui se lançaient dans leur «road trip» mais voulaient savoir si le GPS allait leur parler en français. La réponse est : oui. Les voilà rassurés. C’est à mon tour. Ils n’ont plus de petites voitures, comme je l’avais demandé. Mais, j’ai « de la chance » disent-ils, je vais pouvoir « bénéficier »
d’une grosse voiture pour le prix d’une petite. Une fois assis dans cette Jeep qui me paraît énorme, je passe de longues minutes à apprendre à utiliser les gadgets qui n’existaient pas «de mon temps». Je finis par régler le GPS et sursaute quand ça me parle (en français). C’est dans des moments comme ça qu’on se sent vieux.
La première heure au volant a été difficile, le temps de me réhabituer à la conduite. Après tout, je n’ai conduit qu’une dizaine de fois au cours des quinze dernières années. À Rigaud, je quitte l’autoroute et après avoir exploré cette agréable petite ville, je prends la vieille route qui longe la rivière des Outaouais jusqu’à Ottawa. C’est plutôt agréable et je passe par des petites villes et villages que je n’aurais jamais découverts par les transports publics. À Ottawa, les hôtels que j’ai utilisés dans le passé exigent des frais de stationnement exorbitants. Une recherche sur internet m’amène à choisir un hôtel dans un quartier d’Ottawa que je ne connaissais pas… Orléans.
Le nom évoque pour moi une agréable ville de province française. Grave erreur. La dame du GPS m’amène dans une banlieue nord-américaine typique qui est un paradis pour les automobilistes et un enfer pour les citoyens non-motorisés. Centres commerciaux entourés de stationnements, quartiers résidentiels d’un ennui mortel, tout est conçu pour la bagnole.
Le lendemain, un dimanche, je me suis dit qu’il y aurait peu de circulation au centre-ville et que la dame du GPS allait pouvoir me guider vers les sites historiques que je reverrais bien avec plaisir. Mais madame GPS ne savait pas qu’une partie du centre-ville était bloqué à cause d’un marathon et que d’autres grandes artères l’étaient aussi à cause d’une visite officielle. J’ai dû faire demi-tour et retourner dans mon enfer orléanais. Conclusion, je louerais une voiture de temps à autre pour des sorties à la campagne. En dehors de ça… non, merci.