Qu’est-ce que tu attends ? Le Messie ? » ne cessait de répéter ma mère lorsqu’elle me voyait pensif, oisif, la tête dans les nuages. Évidemment, jeunot, la notion de messie m’échappait totalement. J’ai, depuis, fait du chemin. Les messies, maintenant, je sais de quoi il en retourne. Car les messies, de nos jours, ne sont plus ce que c’était. Faisant abstraction de Messi, Lionel de son prénom, qui à lui seul sauva de l’élimination son équipe de foot d’Argentine, je constate avec désarroi qu’ils sont nombreux à prétendre au titre tant convoité de messie. Comme disent les anglais : « What a mess ».
Mais puisque j’aborde de plein fouet sans soucis cette délicate question des messies, autant tirer profit de mon audace pour aller religieusement au fin fond des choses et appeler un chat un chat, quitte à agacer certaines sensibilités félines.
À ce stade-ci j’estime nécessaire de procéder à un grand inventaire des possibles messies contemporains. Ne tenant pas spécialement à faire preuve de politesse je commencerai par chez nous. Au Canada, peut-on considérer ou même peut-on dire que Justin Trudeau soit tombé comme un messie sur la soupe politique fédérale ? Est-il le sauveur que nous attendions ? En toute candeur et peut-être contre l’avis de quelques admirateurs ou admiratrices, je répondrai avec assurance et toute franchise : non. Le pays n’était pas en perdition et ne faisait pas face à une crise existentielle lors de la venue sur la scène politique canadienne du jeune et charmant premier ministre. Ottawa ne ressemblait en rien à Sodome et Gomorrhe malgré quelques égarements de sénateurs malveillants. Certes tout n’était pas parfait : moralement le gouvernement conservateur de Stephen Harper battait de l’aile. La nation pour autant ne se trouvait pas au bord du trépas. Lassée, fatiguée à la limite, mais rien de sérieux. Une vilaine migraine causant la nausée, sans plus. Un simple malaise. Justin ne nous a donc pas sauvés. Cela ne veut pas dire qu’il n’aspire pas à accéder à ce privilège réservé à quelques individus triés sur le volet. Pour le moment, pas comme moi, il se contente d’attendre le messie lui aussi.
Ce qui est vrai pour nous Canadiens n’est pas vrai pour tout le monde. Nous ne sommes pas l’exception qui confirme la règle. Loin de là. Regardons autour de nous : de nombreux chef d’état estiment descendre de la cuisse de Jupiter à défaut de celle d’un autre dieu moins musclé. Lorsque Trump utilise son slogan « Make America great again » il prétend en fait qu’il a été envoyé sur terre pour sauver l’Amérique. Il se fait passer et se prend, ne manquant pas d’illusion et d’audace, pour le messie du Mississippi (j’éprouve des difficultés à maintenir mon sérieux). Aussi triste que cela puisse sembler, nombreux de ses apôtres n’ont aucun doute : il serait l’envoyé spécial du ciel. Tout là-haut le grand patron doit se demander, à la Charlie Hebdo, « Qu’est-ce que j‘ai fait pour envoyer de pareils cons sur terre ». Face à une telle aberration, j’accepte que le tout-puissant soit grossier.
Plus doux, dans un autre registre, admirons la manoeuvre messianique mise en marche par Emmanuel Macron le président des riches de la France anormale et insoumise. Plus je l’observe plus je sens qu’il a le sentiment d’avoir été touché par les dieux afin d’accomplir une mission quasi impossible : rendre les Français plus obéissants, plus soumis et moins râleurs. Pour ce faire il ne craint pas d’adopter l’air et la manière du nouveau messie. Mais si, je vous le dis. Rappelez-vous son allure lors de son sacre au début de son mandat. Monsieur semblait, comme par miracle, marcher sur l’eau. Pur plagiat. Depuis, il compte de toute évidence sur l’aide du ciel et de sa sainte trinité (suffisance, mépris, outrecuidance) pour parvenir à ses fins. Cours toujours mon lapin.
Autre phénomène : parmi les messies, on constate beaucoup d’ils et peu d’elles. Difficile toutefois d’ignorer les messies qui ne sont pas des messieurs : les Angela Merkel ou Theresa May par exemple. Avec ou sans ailes, ces dames prouvent ainsi que les messies ne sont pas nécessairement des anges.
Dans la catégorie messies à ne pas importer, impossible de passer sous silence les envoyés spéciaux du diable car Lucifer, lui aussi, possède ses émissaires, ses éminences grises des chevaliers de l’apocalypse à vocation messianique : les Erdogan, les Putin, les Xi, les Kim, les Assad, les Zuma, les Madero, et consorts; les TLM (toujours les mêmes) quoi. Vous parlez d’une moisson de messies auxquels il ne faut pas oublier d’ajouter les responsables de Daech et Cie, tous des prétendus sauveurs et protecteurs de peuples qu’ils n’hésitent pas à opprimer.
Alors, mesdames et messieurs les messies, quel que soit votre appartenance, restez dans l’ombre autant que possible. Le monde plus que le ciel vous en sera reconnaissant. Mais si, mais si, d’avance merci.