Tous les anniversaires ne se célèbrent pas. Tous les anniversaires ne sont pas joyeux. Tous les anniversaires ne méritent pas le même traitement, tous ne subissent pas le même sort.
Il y a un an et quelques jours de cela, le 8 novembre 2016 pour être précis, Donald Trump criait victoire en remportant l’élection présidentielle aux États-Unis. Le lendemain, le pays devenait désuni et les États se retrouvaient dans un triste état. Pas de quoi célébrer. Vraiment.
Le jour avant, il y a un an de cela, le 7 novembre 2016 pour être précis, s’éteignait à l’âge de 82 ans, à Los Angeles, l’auteur-compositeur-interprète canadien Léonard Cohen. Rude disparition. Pas de quoi célébrer là non plus.
Les deux personnages de toute évidence n’ont rien en commun si ce n’est le regret éprouvé de façon différente. Le regret de voir apparaître l’un, le regret de voir disparaître l’autre. À l’exception d’une minorité d’Américains qui n’ont pas eu le bon sens de ne pas l’élire et des dirigeants russes, anti-hilaristes, alliés retors d’un Trump aux ambitions démesurées, il n’est pas exagéré d’avancer que nombreux sont ceux qui regrettent et déplorent encore à ce jour la victoire du grand-tweeter. Peu sont ceux prêts à entonner joyeux anniversaire un an après.
Le décès de Léonard Cohen, si ma mémoire ne me fait pas défaut, avait entraîné une vague de regrets accompagnés de louanges peu communes au Canada où les héros et les saints se font rares. Quand on en possède un, autant le porter aux nues (Mon club de nudistes a exigé que j’écrive ceci). La disparition du chantre montréalais a laissé un grand vide qui sera difficile à combler. Lorsque son nom est mentionné il n’est pas superflu de parler du « regretté Léonard Cohen ». Je ne pense pas que l’on mentionnera Trump en ces termes lorsque Donald le canardé s’éteindra.
Alors que les Américains continuent de manifester leur désaccord et leur mécontentement envers leur président (voir le succès récent aux urnes du Parti démocrate), les Canadiens, au Québec en premier lieu, continuent de rendre hommage à Léonard Cohen, l’enfant chéri du pays. L’homme est vénéré. Sa popularité ne décroît pas. Des spectacles en son honneur font mouche. Un grand mural à Montréal assure sa postérité. Ce héro n’est pas fatigué.
Pendant ce temps, de l’autre côté de la frontière, les railleries, les moqueries à l’égard de leur chef d’État fusent de toutes parts. Depuis l’annonce de sa candidature et surtout depuis l’annonce de son élection, Trump s’avère être une cible idéale pour les caricaturistes, une proie facile pour les humoristes, une mire mirobolante pour ses adversaires. Nous, Canadiens, assistons à ce pitoyable spectacle et nous ne pouvons que le déplorer en exprimant, souvent maladroitement, nos regrets. Nous compatissons avec le peuple américain sans pouvoir le secourir. Au moins nous, toujours les Canadiens, nous avons Léonard Cohen pour nous faire oublier nos soucis. Car nous avons nos soucis nous aussi. Ils n’atteignent pas l’ampleur de ceux qu’éprouvent nos voisins du sud mais on ne peut les négliger.
J’ai ainsi le regret de vous souligner une fois de plus que les élites de la finance au Canada ne sont pas de très bons citoyens. Les révélations des Paradise papers nous le confirment : nous possédons au pays des individus et des institutions aux buts très lucratifs qui se font un plaisir de nous arnaquer à bout portant.
Je dois admettre, avec regret, que nous faisons face à une mentalité différente, à une communauté sans scrupule qui n’a pour regret que de ne pas pouvoir suffisamment flouer l’État. À quoi ça sert d’être riche si on ne peut pas profiter au maximum des lacunes et failles du système ? Tel doit être le mode de pensée de ces rupins-tricheurs, de ces grands voyous, dont on ne peut que regretter l’existence.
Le peuple, par contre, le menu fretin, celui qui n’appartient pas au 1%, accepte, bon gré mal gré, certainement pas avec gaieté de cœur de contribuer aux impôts considérés nécessaires pour la bonne marche du pays et le bien-être de son peuple. Les imposteurs, les outrageusement nantis, ceux qui font tout pour échapper à l’impôt, ne suivent pas cette même logique et encore moins les mêmes règles. L’accroissement regrettable des richesses et des inégalités sociales échappe à leurs préoccupations.
Voyant cela d’où il siège actuellement, Léonard Cohen, j’en suis convaincu, ne regrette pas de nous avoir quittés si soudainement. Quant à Trump et Cie ainsi qu’aux roublards qui roulent impunément l’État, j’ai le regret de leur annoncer, au risque de les décevoir, qu’au bout du compte, s’ils peuvent profiter des paradis fiscaux temporellement, ils ne pourront pas, en revanche, emporter leur fric avec eux en enfer. Et, lorsqu’en ce lieu ils iront, je me ferai un plaisir chaque année de leur adresser un faire-part sans aucun regret.