Le 8 février prochain, le professeur Ali Mirsepassi animera la conférence intitulée L’invention imaginaire d’une Nation : L’Iran dans les années 1930 et 1980, sur le campus universitaire de la Simon Fraser University à Vancouver. Cet événement se déroulera dans le cadre du 16e colloque annuel des études iraniennes, subventionné par la fondation des docteurs Mirhady.
Durant le 20e siècle, l’imaginaire social et collectif iranien fut marqué par une rupture radicale dans sa volonté de construire une nation iranienne moderne. Ali Mirsepassi, professeur spécialisé en sociologie et Moyen-Orient, explique les causes de ce changement majeur entre les années 1930 et 1980 en revenant sur une partie de son livre La silencieuse révolution en Iran. Il concentre son discours sur deux débats intellectuels qui se sont déroulés durant ces deux périodes distinctes.
Une volonté moderniste commune
La révolution constitutionnaliste (1906) et le début du règne des Pahlavi (1925) ont constitué un intervalle crucial dans l’histoire iranienne contemporaine. Dans les années 30, le discours politique et intellectuel dominant était moderniste. L’élan innovateur était l’occasion de débattre sur l’Erfan (mysticisme Islamique) en s’appuyant sur les théories modernes et occidentales du philosophe français Henri Bergson.
Le débat impliquait principalement quatre érudits iraniens. Le professeur Mirsepassi détaille leurs différentes visions sur la conceptualisation de « l’intuition » chez Bergson. La diversité des points de vue était la preuve que les Iraniens cherchaient, « principalement par des régimes étatistes marxistes, libéraux ou autoritaires et une spiritualité moderne », à faire évoluer l’imaginaire collectif afin de transformer le pays en une nation innovante, démocratique et indépendante.
Le retour aux sources
La République islamique d’Iran est proclamée le 1er avril 1979. L’Islam politique devient le centre organisé de la puissance idéologique et politique, la popularité du régime est intacte.
Au printemps 1980 et dans un contexte de guerre avec l’Irak, un débat idéologique télévisé a lieu entre certaines figures du parti au pouvoir et des membres appartenant à deux organisations marxistes, Tudeh Party et Fedayeen.
Les intellectuels du régime orientent le sujet sur la distinction entre les idéologies fondées sur le matérialisme et la tradition religieuse. Sous pression, les érudits marxistes sont « contraints de déformer leur discours pour conforter et adopter l’imaginaire de l’islamisme politique ». Leurs interlocuteurs les qualifient de traîtres et d’apostats. Le débat démontre clairement « le déclin de la pensée laïque et moderne face à la montée en puissance d’une pensée religieuse agressive ».
Une lutte toujours en cours
Selon le professeur, ces deux débats intellectuels sont « les témoins de la lutte en cours pour la définition de l’imaginaire social iranien ». Dans le contexte de fonder la nation comme « une entreprise créative », une transformation culturelle et politique est apparue dans les deux dernières décennies du règne des Pahlavi (années 60 et 70).
Ainsi, le chemin vers la modernisation « a été pavé par la domination de l’Islam politique », minant et discréditant les progrès réalisés lors des années 30 et 40. Cette rupture radicale constitue les origines de la Révolution iranienne de 1978 et le nouvel imaginaire social collectif, défini par l’identité religieuse et la « tradition » nationale.
Ironiquement, l’Iran était un pays beaucoup moins développé économiquement et socialement en 1930 par rapport aux années 80. Ainsi, l’expérience iranienne est unique car elle « remet en cause les points de vue de ceux pour qui les nations sont simplement une réalité socio-
économique ».
En 2018, la majorité des Iraniens continuent à combattre les idées obsolètes dans le but de bâtir une société plus égalitaire sur les plans socio-économique et culturel. L’avancée est perceptible, comme en atteste la création du Parti Vert Iranien en 2009. Le pays semble être alors une nation moderne « incomplète », toujours à la recherche du sens à donner à la notion de modernité.
Dans le contexte actuel d’espérance et de progrès vers une société civile cosmopolite, « l’inégalité des sexes est une problématique essentielle ». Ainsi, les femmes pourraient être les actrices de ce réel changement innovant que la nation attend depuis si longtemps.
La conférence aura lieu le jeudi 7 février dans l’amphithéâtre Fletcher Challenge, classe 1900, à Simon Fraser Université, Vancouver campus. La conférence est gratuite et ouverte au public mais les places sont limitées. Réservations recommandées : www.sfu.ca/history/events/ccsmsc-events/mirhady-2018.html