Le progrès, êtes-vous pour ou contre ? Je me souviens de ce devoir que nous infligeaient les instituteurs peu inspirés au début de l’année scolaire. Il fallait passer par là. Je devais disserter. La question a priori m’angoissait. Elle m’angoisse encore aujourd’hui. À l’époque, légèrement embarrassé, je me permettais de répondre par un « P’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non ». Je ne suis pas Normand mais c’était la seule réponse qui me venait à l’esprit, celle qui m’apparaissait la plus raisonnable et la moins compromettante. De nos jours, rien à changer : je n’arrive toujours pas à trancher de manière circonspecte.
Dans ma dissertation d’écolier modèle, je tentais de présenter, sans doute maladroitement, ma position ambiguë sur ce sérieux dilemme en faisant valoir mon droit d’adopter une prudente réserve sur le sujet qui m’était assigné. Exemple de lâcheté, manque de courage, esprit indécis, incapacité de formuler une opinion, impuissance mentale, concluaient mes enseignants mal renseignés. Pour cela je recevais une note qui présageait mal de mon avenir. Mes parents s’affolèrent et crurent bon de m’envoyer dans un centre d’apprentissage où j’appris la menuiserie, qui ne m’a jamais servi sinon qu’à toucher du bois par pure superstition.
Cette question du progrès, pour moi, a refait surface la semaine dernière en lisant les journaux. J’y appris que des chercheurs chinois d’un laboratoire de l’institut de neurosciences de l’Académie des Sciences chinoise à Shanghai, avaient pour la première fois réussi à cloner des singes, des macaques plus précisément. Le clonage de ces primates, ils sont deux, Zhong Zhong et Hua Hua, qui à en croire les photos ne savent sans doute pas ce qui leur arrive, ouvre la possibilité qu’une pareille expérience puisse dorénavant s’appliquer à des êtres humains. C’est là que je dis « Holà, holà» devant cette percée scientifique. Il y a ici matière à réflexion, vous ne trouvez pas ? Le danger de potentielles dérives ne peut être ignoré. De sérieuses questions d’éthique et d’ordres sociaux se posent. Où cela va-t-il nous mener ? Vous, la gente scientifique, avez beau tenter de nous rassurer en affirmant avec véhémence qu’il n’est pas question de singer votre expérience avec un être humain, vous devez comprendre quand même que votre démarche suscite en moi quelques inquiétudes bien fondées. Vous avancez, convaincants, qu’avec le clonage de ces primates il sera possible de mieux remédier à nos maladies génétiques. Vraiment ? Le clone serait donc un animal de seconde classe sur lequel dès lors toute sorte d’expérience serait permise, si je suis votre logique. Cela promet, si jamais le clonage humain voit le jour. Quel genre de société obtiendrait-on avec des êtres considérés sous-humains ? Est-ce qu’il vous est venu à l’idée qu’avec ce progrès apparent nous régressons peut-être ?
Certes ce n’est pas demain la veille qu’on pourra cloner un être humain, nous fait-on savoir, mais cette aventure embryonnaire peut avoir des conséquences surprenantes. Un richissime propriétaire d’une équipe de hockey pourrait faire cloner une flopée de Sidney Crosby rendant ainsi son équipe invincible et privant par la même occasion les Canucks de Vancouver de tout espoir de gagner un jour la coupe Stanley. Pire encore : on pourrait par exemple cloner des Trump ou des Poutine en série. Imaginez le désastre.
De toute évidence, messieurs les chercheurs de Shanghai, en allant de l’avant avec vos expériences en laboratoire vous devez penser que si, à tort ou à raison, on n’arrête pas le progrès, le progrès ne peut vous arrêter. Il est vrai, c’est rassurant, que plus de 70 pays dont le Canada (en mars 2004) ont adopté des lois interdisant le clonage reproductif humain : un pas dans la bonne direction.
Le clonage de nos amis macaques n’est pas la première expérience du genre tentée sur des animaux. Une bonne vingtaine de mammifères ont précédé Zhong Zhong et Hua Hua. Que sont-ils devenus ? Rappelez-vous Dolly la brebis, le tout premier mammifère cloné en 1996. Que sait-on d’elle maintenant ? Bêle-t-elle la belle bête ? S’est-elle égarée ? Serait-elle devenue une brebis galeuse écartée du troupeau ? Joue-t-elle à saute-mouton ?
Qu’est devenu le cochon, lui aussi cloné contre son gré ? Est-il abattu ? A-t-il développé de grosses cuisses de jambon ? Se conduit-il comme un porc ? S’offusque-t-il que son nom soit associé à des individus aux comportements répugnants qui inspirent le dégoût ?
Et le rat, une fois cloné, s’est-il mis à jouer au chat et à la souris afin d’oublier qu’il mène une vie de chien ? Et ces macaques, les derniers nés, seront-ils un jour capable d’arrêter de faire le singe ?
Vous parlez d’un cirque. Il est temps que je cesse de faire le clone.