La plus longue ligne de tramway au monde longe la côte belge sur une soixantaine de kilomètres, de la frontière française jusqu’aux Pays-Bas. Pour moins de dix dollars canadiens, un billet valable pour la journée vous permet de descendre à n’importe lequel des soixante-huit points d’arrêt qui jalonnent la ligne. À Dunkerque, un français à qui je faisais part de mon projet m’a prévenu : « La côte belge ? C’est nul ! Il n’y a que du béton. » Malheureusement, il avait plutôt raison.
Ça commence pourtant assez bien avec la petite ville de La Panne, qui possède encore bon nombre de villas du début du vingtième siècle, même si le bord de mer n’est, effectivement, qu’une longue enfilade de tours résidentielles. Une des vieilles maisons qui a échappé à ce vandalisme immobilier est l’ancienne résidence du peintre Paul Delvaux, abritant maintenant un musée, qui vaut la peine d’être vue avant de reprendre le « Kusttram » (tramway côtier).
En poursuivant mon voyage, j’ai été déçu de voir que la côte a été entièrement urbanisée sans prendre la peine de préserver quelques espaces naturels sous forme de parcs. Je me suis dit que cela allait s’améliorer à Ostende, cette ville de soixante-dix mille habitants que les Belges (probablement des agents immobiliers) ont surnommée « la reine des plages ». De fait, la plage de sable fin est magnifique. Elle s’étend sur une largeur de plusieurs centaines de mètres. Lorsque l’on marche au bord de l’eau à marée basse, on a l’impression d’être loin de la ville, même si là aussi, la côte n’est qu’une immense falaise de bâtiments résidentiels. Pourtant, j’avais lu qu’Ostende était très prisée des touristes britanniques dès le dix-neuvième siècle. Les vieilles photos d’avant la Deuxième Guerre mondiale montrent une ville pleine de bâtiments élégants. La côte belge n’a même pas l’excuse d’avoir été détruite pendant la guerre, nécessitant une reconstruction rapide. Ce que la guerre a épargné a été détruit par les promoteurs immobiliers assistés par des gouvernements locaux qui n’étaient pas prêts à laisser des considérations esthétiques entraver la libre entreprise. Je me demande comment un pays qui a si bien préservé la magnifique ville de Bruges a pu abandonner toute sa région côtière aux marchands de béton.
Je remonte sur le tram pour aller jusqu’au bout de la ligne, à Knokke-le-Zoute. J’ai lu que c’était là que la bourgeoisie belge faisait trempette dans la mer du Nord. Dans les années quatre-vingts, la réputation de snobisme de Knokke a été renforcée par le bourgmestre (maire) de l’époque, le comte Léopold Lippens, qui a tout fait pour dissuader « les pauvres » de venir entacher les plages des gens riches. Il a même tenté (sans succès) de faire déplacer la gare de chemin de fer à plusieurs kilomètres du centre-ville afin d’empêcher les « gens ordinaires » d’Anvers ou Bruxelles de venir là pour la journée.
J’ai donc débarqué dans cette ville, une journée ensoleillée du printemps et j’ai pu trouver une chambre « bon marché » à cent quarante euros la nuit. Effectivement, dans les cafés du bord de mer, même les caniches avaient l’air snob.
L’architecture était aussi peu remarquable qu’ailleurs sur la côte belge mais une bonne partie de la plage était privée, de façon à prévenir l’intrusion de gueux de mon genre. « Vous avez de la chance » me dit-on « il fait beau ». C’est vrai, si j’avais vu la côte belge sous la pluie, j’aurais encore moins aimé.