Les guides touristiques sur le Mexique ne mentionnent même pas Culiacán, la capitale de l’état du Sinaloa, qui est tout de même une ville de près d’un million d’habitants. Le site Wikipedia m’apprend que les Premières nations y ont établi une ville au septième siècle qu’elles ont appelé Coahuacan, le «palais des serpents ». Ce n’est peut-être pas un nom apte à encourager les touristes mais ça n’a pas découragé les Espagnols qui s’y sont installés en 1531. Mais Culiacán est restée une petite ville provinciale endormie jusqu’aux années 1960.
L’amélioration de la route pan-américaine a permis la production agricole à grande échelle dans la fertile plaine côtière de cette région du Sinaloa. La marijuana étant devenue à la mode chez les jeunes Américains, des entrepreneurs mexicains ont eu l’idée d’exporter clandestinement le cannabis dans les camions de fruits et légumes en partance pour les États-Unis. De là est né le cartel de Sinaloa qui ne se contente plus de la marijuana mais produit tout, de l’opium au fentanyl, et se charge de faire passer la cocaïne sud-américaine chez ces Gringos qui sont toujours prêts à payer le prix fort pour se mettre le nez dans la poudre.
En moins d’une génération, le narcotrafic est devenu l’activité économique dominante de la région. Quand un jeune homme issu d’un milieu populaire se promène en 4X4 Mercedes ou en Hummer aux vitres teintées, personne ne pose de questions. Ce banditisme à grande échelle n’est pas sans impact culturel. Culiacán est la capitale du norteño, style musical régional maintenant répandu à travers tout le Mexique. Les longues ballades aux airs de country à la mexicaine chantent les louanges des intrépides pilotes de petits avions qui exportent la drogue à travers la frontière, des pistoleros sans peur et des jeunes veuves qui veulent venger leurs hommes abattus par leurs ennemis. Les films et séries comme El Chapo ou la Reine du Sud contribuent aussi à la réputation de Culiacán. Cela a fini par attirer des visiteurs, surtout mexicains. Ils sont peu nombreux mais le concierge de mon hôtel s’est proposé pour organiser le « circuit habituel » avec un ami chauffeur de taxi. Ce circuit inclut la chapelle de Jesus Malverde, un bandit, genre Robin des bois local, qui a été exécuté en 1909. Malverde, dont la chapelle pleine d’offrandes et de statues tape à l’œil est située en face du siège du gouvernement régional, est devenu le saint patron (non reconnu par le Vatican) des narcotrafiquants. Ensuite, on vous emmène au Jardines del Humaya, le cimetière des bandits. Au passage, le chauffeur pointe du doigt des lieux d’assassinats célèbres. Il faut dire qu’à moins d’être un spécialiste, on s’y perd un peu dans ces énonciations de qui a descendu qui et quand. Mais le cimetière vaut le déplacement.Situé loin du centre-ville, c’est un peu une banlieue pour les morts qui ont « réussi ». Les tombes sont gigantesques et souvent construites en forme de temples ou de châteaux mais aussi, parfois en forme de maison moderne à plusieurs étages. Ces « condos » funéraires sont dotés de vitres pare-balles (pour protéger ceux qui pourraient se faire descendre en se recueillant sur la tombe du cher disparu) et de climatisation. À travers les vitres, on aperçoit parfois un autel sur lequel reposent des bouteilles de tequila, une boîte de cigares ou une photo du défunt tenant à la main son AK47 favori.
Je n’ai pas vu un seul autre visiteur dans ce cimetière. Le « narco-tourisme » n’est pas encore un phénomène de masse. Je me suis senti en sécurité à Culiacán, car les narcos ont d’autres chats à fouetter que de s’occuper d’un simple touriste. Il faut dire que les touristes sont bien rares dans cette ville que le Département d’état américain (ainsi que son homologue canadien) recommande d’éviter à tout prix. Les statistiques expliquent pourquoi. Au palmarès mondial du crime (nombre de meurtres par cent mille habitants) Culiacán arrive en douzième position.