Je suis partie de France en grande partie parce que mes interactions avec les autres ne me convenaient plus. C’était comme si chaque conversation que j’entretenais se heurtait à une étroitesse d’esprit, un rejet de ce qui est différent, et une supériorité injustifiée.
Deux ans plus tard, je ne pense pas regretter. Durant les premiers mois de mon séjour, je n’ai pas fait de rencontres. Les Canadiens sont chaleureux et rois du « small talk », et ces maigres interactions sociales me suffisaient. Cela dit, il a très vite été clair pour moi que je vivais dans une ville cosmopolite. Marchez au centre-ville quelques minutes, et vous remarquerez très vite qu’ici, les gens viennent des quatre coins du monde.
Quand le jour est venu de sortir de ma coquille, je me suis, sans trop y réfléchir, tournée vers la communauté française. Sortir de sa zone de confort n’est pas facile, et j’avais besoin de cette sécurité – besoin d’entendre ma langue maternelle, besoin de parler de fromage et de pain, besoin que d’autres avouent leur désir de redécouvrir la France et ses paysages chargés d’histoire.
J’ai cependant très vite retrouvé ce qui m’a poussée à partir : ces remarques sexistes, racistes, ou encore homophobes, qui sont « juste pour rire ». Partagée entre l’envie de fuir ceux qui savent tout mieux que les autres, et ce sentiment d’être tout de même à la maison, j’ai fait le tri et choisi mes amis.
Mais surtout, j’ai changé de perspective. Comment puis-je rêver d’un monde inclusif, pur et bienveillant, si moi-même je me contente d’observer, sans jamais faire un pas vers quelqu’un d’autre ? Comment construire des murs autour de moi peut-il être plus efficace que de créer des conversations, sans jugement aucun ?
C’est ce que Vancouver m’a appris : prendre la chance de vivre entourée de gens d’ici et d’ailleurs pour poser des questions. Oublier, le temps de quelques minutes, ma propre culture, et m’ouvrir à celle d’un ou d’une autre. Accepter que ce qui me paraît sexiste dans la culture de ma voisine ne l’est peut-être pas. Constater que ce qui me paraît simple et logique ne l’est pas pour celui d’en face. Et que ce n’est pas grave.
Je ne comprends peut-être pas toujours. Mais j’essaye. Tout comme je déteste entendre quelqu’un critiquer la France et les Français, bien que je sois la première à le faire, je me dis que je ne suis pas qualifiée pour émettre un jugement sur une autre culture. Et même si je n’avais jamais eu l’impression de le faire avant d’arriver à Vancouver, je pense qu’il y a une différence entre se taire et offrir une oreille attentive. Entre ne pas bouger, et tendre la main.
Ce que j’aime par-dessus tout à Vancouver, c’est tous ces habitants qui aiment cette ville par-dessus tout… mais qui aiment aussi leurs racines. Celles et ceux qui admettent haut et fort que leur pays d’origine n’est pas là où elles ou ils aimeraient vivre, pour diverses raisons, mais qui sont tout de même excités et enthousiastes à l’idée de « rentrer » pour quelques semaines.
Ces personnes qui me font comprendre que j’ai le droit de ne pas tout aimer de la France, tout en l’aimant de toutes mes forces. J’ai le droit de me sentir chez moi dans une ville bien différente de là où j’ai grandi, alors que chaque seconde ma ville natale me manque. J’ai le droit de venir d’ailleurs, et de vivre ici.
Vancouver me donne de l’espoir. Si j’ai pu m’ouvrir aux autres, alors tout le monde peut. Ici, mon idéalisme me semble presque réaliste.