Nous sommes en 2040.
En faisant le ménage dans mon grenier, un de mes robots mit la main sur plusieurs livres de mon enfance. Parmi eux j’ai retrouvé, non sans une certaine émotion, une version plutôt libre de la célèbre histoire des trois petits cochons. À en croire l’édition, le récit, adapté au goût de l’époque, datait de 2018. Curieux et ému j’en refis la lecture.
Il était une fois trois petits cochons et un grand méchant ours, qui vivaient sur terre avec l’envie urgente de mal faire.
Le premier cochon, appelé Douguy, que l’on traitait sans méchanceté de gros lard, avait pour porc d’attache une province très bien nantie de l’Est du Canada. Par on ne sait quelle manigance ou autre sorte de cochonnerie dont il a toujours été capable, il réussit à réunir suffisamment de sue porc pour se faire élire chef de sa tribu.
La gent journalistique surprise par la tournure des évènements ne savait que penser; était-ce du lard ou du cochon ? se sont-ils demandé. Comment un porc pareil a-t-il pu se faire élire à cette position si importante et si exigeante bien que peu prestigieuse ? « Au royaume des cochons, les porcs sont roi » répondirent unanimement et avec conviction les membres de la nation forte de cette grande porcherie. Depuis, ce goret à l’accent populiste fait des siennes pour le plus grand plaisir de la ribambelle d’ignorants qui le suivent aveuglément.
Trop petit dans l’immédiat pour intéresser le grand méchant ours de Sibérie, Douguy le cochonnet en profite pour patauger gaiement dans sa mare de manière résolument maladroite. Au grand désarroi des gens bons, il finit par poursuivre son aventure mal engagée en faisant sa tête de cochon. Attitude qui lui convenait à merveille.
Pas très loin de chez lui vivait le deuxième cochon, Désétat, surnommé Orangino, plus grand, aussi gras mais pas plus gros que Douguy. Tout rose et pas du tout bronzé, il avait décidé de construire une clôture autour de son enclos afin de préserver la couleur de sa peau qui ne valait pas cher. Ceux qui ne faisaient pas partie de son clan avaient honte et en devenaient fous de rage.
Ces braves gens, à juste titre, ne se gênaient pas de le traiter de gros cochon en raison de son comportement malsain envers ses truies et autrui. Suffisant, arrogant, outrecuidant il n’en menait pas large toutefois lorsque le grand méchant ours de Sibérie lui faisait face. Orangino, il est bon de le mentionner au passage, préférait, contrairement à ce qu’on pourrait penser, la poutine plutôt que le sirop d’érable qu’il délaissait volontiers car trop doux à son goût. De plus, il craignait surtout qu’un rat de marée, sorti d’on ne sait où, pas marrant pour un sou, vienne semer la panique dans sa porcherie. Orangino vivait ainsi dans le mensonge et la crainte.
Quant au troisième cochon, il restait à désigner. Le siège demeurait vacant depuis la sortie d’un rat-porc impliquant l’ancien porc dans une affaire de trans-porc de marchandise pour ex-porc. Ils étaient nombreux parmi les suidés à postuler pour ce titre si convoité de grand porc de Sa Majesté de Porc-aux-Pinces. Pas question de régler la situation par un duel : le porc des armes étant interdit. Pour choisir le chef suprême de cette confrérie, un seul critère s’imposait : posséder une magnifique queue en tire-bouchon. Plus elle sera tordue, plus le candidat possédera de chances d’emporter cette course d’ongulés. Après tout il s’agissait de couronner le cochon le plus croche. Les autres, sans doute abattus, devront ronger leur foin en attendant qu’une nouvelle opportunité se présente à eux.
Les candidats ne manquaient pas. Les représentants de la Pologne, de la Hongrie, de la Syrie ou encore de la Turquie se disputaient la palme. Habitués à rentrer dans le lard, ces porcs avaient la côte. Que le plus cochon gagne ! scandaient les supporters de cette épreuve sans merci.
Tout en observant ces cochons mal intentionnés, l’ours polarisé venu du froid, ayant pour nom Kagébé, se préparait tranquillement pour un festin de grande envergure. Il se léchait déjà les babines à l’idée de faire bonne chère de ces cochons dodus. Notre seigneur des anneaux-au-nez en perdit quelque peu la raison. Il finit brusquement par se ressaisir et comprit qu’en dévorant ces cochons il finirait par avoir une grosse indigestion et rien de plus. Mieux valait les garder en vie. Machiavélique pour un rouble, Kagébé compris qu’il suffisait de faire chanter ses victimes pour régner. Une idée qu’avec les années il réussit à développer à perfection en menant tous ces cochons par le bout du groin. Le grand méchant ours avait pour devise : tout est bien qui finit mal, une maxime qu’il mit en pratique jusqu’à la fin de ses jours.