Crise existentielle au lendemain de l’Épiphanie : que sera demain ? Que nous réserve 2019 ? Voulant en avoir le cœur net, et afin d’éviter toute mauvaise surprise, l’idée m’est venue de me lancer dans un échange épistolaire avec dame 2019 plutôt que de faire appel à ma boule de cristal demeurée embuée ces dernières années. En voici l’essentiel.
Chère 2019,
Permettez-moi de vous souhaiter une bonne et heureuse année. Bienvenue dans notre petit monde qui ne demande rien à personne si ce n’est un peu de bonheur et un minimum de justice sociale, à défaut de respect, pour bien faire.
À l’occasion de votre entrée en lice pour tenter de devenir la lauréate de la meilleure année de ce millénaire, j’ai pensé, pardonnez mon audace, à vous prodiguer quelques conseils. Je peux, me semble-t-il, vous être utile malgré quelques réticences que vous pourriez éprouver à mon égard, n’ayant, à vos yeux, pas encore fait mes preuves. Votre méfiance et vos hésitations ne me surprendraient aucunement. Vous ne me connaissez ni d’Ève, ni d’Adam et encore moins de Balthazar, ce Roi mage dont on ignore tout de la trajectoire et qui vient juste de faire acte de présence, galette en main, lors de la fête des Rois. Sachez néanmoins que j’ai beaucoup misé sur vous et que je compte m’investir pleinement pour voler à votre secours si le besoin s’en faisait sentir. En fait vous avez besoin d’un guide au cours des douze mois qui vous attendent. Je vous offre donc mes services. Qu’en pensez-vous ?
Cher Castor malheureusement castré,
Votre offre est séduisante mais elle ne me convient pas. J’ai l’intention de mener ma barque à ma façon sans l’aide de qui que ce soit. En somme, je vous prie de vous mêler de vos affaires. Est-ce que je vous demande si votre grand-mère fait du vélo ?
Madame 2019,
Permettez-moi d’insister. Je peux d’ores et déjà observer que votre ton désagréable n’est pas de bon augure. Vous vous êtes sans doute levée du mauvais pied et je ne tiens surtout pas à vous prendre à rebrousse-poil. Dans une certaine mesure je comprends votre courroux mais je le trouve injustifié et surtout exagéré. Ma grand-mère, je tiens à le souligner, n’a pas de vélo. Elle a une trottinette électrique, nouveau modèle, objet qui cet été devrait faire fureur au Canada si j’en crois mes amis européens qui, l’an passé, l’ont adopté avec enthousiasme. L’essence de mon message est simple et rationnel : pour souligner votre passage, convertissez-vous pleinement une bonne fois pour toute au moteur électrique. Le monde, je tiens à vous mettre au courant, vous en sera reconnaissant. Signé : un ami qui vous veut du bien.
Au Castor qui commence à me casser les pieds
Petit effronté. Quelle insolence. Pourquoi devrais-je vous écouter, vous qui n’avez rien fait durant l’été si ce n’est que de vous baigner et de prendre vos aises, d’où votre malaise ? Eh bien ! Déchantez. Malgré vos prières je serai tout aussi polluée que les années précédentes. Me convertir n’est pas un pas que je compte franchir allègrement. Ma priorité, en ce qui me concerne ? Minimiser les dégâts. Pour ce faire je désire passer inaperçue. Je veux créer le moins de vagues possible et me retirer en fin d’année tranquillement sans faire de bruit. À ceci qu’avez-vous à redire ?
Pas si chère 2019
C’est ça ! Après moi le déluge. Vous devriez avoir honte. Sans prendre de gants, vous jetez l’éponge. Vous nous abandonnez à notre sort. Avec pareille attitude, quel genre d’année allons-nous passer ? Avec un peu de bonne volonté, vous pourriez revoir vos priorités. Ce n’est pas l’économie, stupide, mais l’environnement qui compte. L’auriez-vous déjà oublié ?
À l’infernal castor présomptueux
Je constate que vous ne mâchez pas vos mots. Puisqu’il en est ainsi, avalez ce qui s’en suit. J’ai d’autres animaux de votre sorte à fouetter. Évitons donc toute forme de polémique. Pour ce qui est des changements climatiques, aucune raison de devenir hystérique. Soyons réalistes et pratiques. J’ai du pain sans gluten sur la planche qui m’attend. Je dois être témoin d’élections de par le monde qui s’alignent pour le meilleur et le pire. Tâche que j’appréhende, vu les résultats obtenus ces derniers temps. De plus, je m’attends, tout en les déplorant, à une recrudescence de dangereux conflits entre divers états. Les désastres dits naturels devraient aussi troubler ma tranquillité. À l’image de mes consoeurs, celles qui m’ont précédée, on ne m’épargnera pas. Comme vous le voyez, vaniteux petit castor, je ne serai pas à la noce, je serai fort occupée. Pouvez-vous en dire autant ?
Non, lui ai-je finalement répondu avant d’ajouter d’un ton sarcastique: « Si 1969 fut l’année érotique, vous, 2019, serez, à défaut d’être électrique, une année éclectique ».
Malgré la conclusion pessimiste (je n’en attendais pas moins !) j’ai beaucoup aimé cette lecture. Bonne écriture, drôle, belles références littéraires ici et là… engageant 😉