Pendant le mois de décembre, Paul Wong a échappé au grand froid canadien. Bombay, Bangalore, Cochin, l’artiste de 64 ans qui a grandi à Vancouver s’est lancé dans un voyage de cinq semaines le long des routes indiennes ensoleillées. Au programme, entre autres, la présentation de photographies du projet Mother’s Cupboard, dont certaines ornent déjà les abribus de Vancouver depuis fin octobre, et un atelier avec des étudiants autour de cette entreprise. Le 12 janvier, Paul Wong sera présent au Jardin du Dr. Sun Yat-Sen lors de l’ouverture officielle de cette exposition sur laquelle il travaille depuis une année.
Mother’s Cupboard, c’est avant tout l’histoire d’une tradition. Une multitude d’anciens petits pots de moutarde ou de café reconvertis en jarres aux composés mystérieux, ornant les étagères de la cuisine. La perpétuation d’un savoir ancestral où plantes médicinales côtoient herbes aromatiques. Cuisine, assaisonnement ou recettes thérapeutiques, l’utilisation de ces pots se veut aussi vaste que les ingrédients qu’ils contiennent.
C’est en 2012 que Paul Wong prend conscience de l’importance du savoir contenu par ces jarres qu’il a toujours aperçues dans la cuisine de sa maison d’enfance sans jamais y prêter attention. L’artiste décide d’entamer un travail de longue haleine dans le but de décortiquer la composition de chaque récipient au contenu si intrigant. Avec sa mère, Suk-Fong Wong, ils prennent le temps d’analyser les mélanges qui s’y trouvent, en décrivant méticuleusement leur composition. Des racines aux feuilles séchées en passant par des élixirs à base alcoolique, tout est passé au peigne fin. En bon artiste visuel, il en profite pour filmer ces scènes afin de garder une trace de ces savoirs traditionnels qui se transmettent, pour la plupart, de manière orale depuis des siècles.
Déconstruction, traduction, exposition
C’est il y a environ un an, un peu plus d’une année après le décès de sa mère, que Paul Wong décide à nouveau de se pencher sur le projet Mother’s Cupboard. « Elle a laissé ces pots dont elle était très fière. Certains peuvent valoir très cher, il s’agit d’une très bonne collection », précise-t-il. L’artiste commence alors à donner forme à son exposition. Mais il se heurte à un problème de taille. « Ce sont des ingrédients dont je pouvais connaître le nom en chinois, mais dont j’ignorais le mot anglais ». Car, lors de ses investigations en 2012, ni l’artiste ni sa mère n’a pu traduire les noms des ingrédients, alors en chinois. Il s’agit dès lors de faire de toutes ces connaissances collectées quelques années plus tôt, un savoir exploitable et diffusable dans le cadre de son exposition. Paul Wong décide de travailler avec un traducteur et redécouvre, en anglais cette fois-ci, des plantes qu’il connaissait à l’odeur. Il faut à nouveau déconstruire certaines mixtures et déterminer la nature des ingrédients qui y macèrent. Les pots sont ensuite photographiés et ces images sont triées selon la nature des contenants. Ne reste plus qu’à les exposer.
« C’est comme chez ma grand-mère ! »
Depuis la fin du mois d’octobre, des photographies des pots sont affichées dans différents abribus de Vancouver. « On dirait une publicité, mais quand on regarde, c’est quelque chose de beaucoup plus mystérieux » affirme l’artiste. Une chose très mystérieuse, mais qui semble rappeler des souvenirs à certains passants. « Oh mon Dieu ! C’est comme chez ma grand-mère ! » raconte Paul Wong lorsqu’il parle des réactions qu’il a pu observer. « Chacun semble y être relié » selon lui.
Aux affiches déjà en place s’ajoutera l’exposition Suk Fong Nay Ho Mah ? au Jardin du Dr. Sun Yat-Sen à partir du 12 janvier. Ce sera la dernière étape d’Occupying Chinatown, le projet d’une année qui relie Paul Wong au City of Vancouver Public Art Program et au Jardin du Dr. Sun Yat-Sen. Les visiteurs pourront y trouver de vrais petits pots remplis de merveilles, mais aussi des lettres écrites par Suk-Fong Wong, et un extrait d’une dizaine de minutes d’une vidéo tournée par l’artiste en 2012, où l’on aperçoit sa mère assise dans la cuisine. Une plongée dans l’univers intemporel des savoirs ancestraux chinois, où ces mystérieuses mixtures ont permis aux traditions de garder une place de choix, à découvrir jusqu’au 22 mars.
Pour en savoir plus long, visitez : www.vancouverchinesegarden.com