Le mardi 12 février aurait dû se tenir au Collège Langara une partie du Grand débat national qui agite la France depuis un mois. La réponse du président français à la crise des Gilets Jaunes avait réussi à s’inviter jusqu’à Vancouver, mais étonnamment le sujet traité ici était bien différent des thématiques officielles du gouvernement français.
Tandis que la France s’interroge sur des sujets aussi vastes que la fiscalité, la transition écologique, la démocratie ou les services publics, le débat organisé au Collège Langara de Vancouver aurait dû porter sur ce qui serait susceptible de faire revenir les ressortissants français dans leur pays. Le mauvais temps ayant annulé le débat (qui ne sera pas reprogrammé selon son organisatrice, Benoite Pfeiffer), voici quelques pistes de ce qui aurait pu en ressortir.
En termes de motivation au départ numéro un, c’est toujours l’emploi qui revient en premier chez les personnes interrogées. Qu’il s’agisse de la disponibilité des emplois, du cadre de travail ou des relations avec les employeurs, nombreux sont les Européens à apprécier le système canadien qui mélange la flexibilité, un plus grand respect de l’individu et l’esprit globalement plus apaisé du marché. Ceci comparé au système ultra-compétitif développé en Europe, et cela sous la pression des lois régissant le temps de travail. Curieusement, la rémunération n’est presque jamais citée, les niveaux de salaire étant comparables pour les emplois qualifiés (mais très inférieurs ici pour les emplois non qualifiés, qui sont rarement cause de départ).
Ceci est à relier aux rapports qu’entretient le Canada avec ses entrepreneurs, à l’opposé total de l’état d’esprit français. Ainsi, Samuel B., webdesigner et ingénieur informaticien a-t-il préféré le Canada en 2016 « Quand j’ai commencé en 2014, j’avais à peine déclaré mon statut d’auto-entrepreneur en France que l’URSSAF (l’organisme chargé de récupérer les cotisations sociales en France) m’est tombée dessus. Avant même d’avoir gagné le moindre centime, j’étais tenu de payer plusieurs cotisations immédiatement. Au Canada, le système est beaucoup plus souple, moins oppressif. Ici on est accompagné dans nos démarches, en France le système tente immédiatement de nous écraser »
Une autre préoccupation majeure concerne la sécurité. Si la France était vue comme un pays relativement sûr jusqu’en 2015, les attentats de ces dernières années ont fait évoluer son image de façon négative. Ce point est à relier directement avec celui des incivilités qui ont considérablement dégradé le climat social français, mais aussi belge et européen en général. Toutes les personnes interrogées arrivées au Canada, en particulier les femmes, louent la politesse et le civisme qui prévalent ici. La crise des Gilets jaunes n’a rien arrangée. Imagine-t-on au Canada la flamme olympique de Vancouver vandalisée, le château Frontenac taggué, des immeubles incendiés lors d’émeutes ?
De façon étonnante, l’autre critère qui empêche le retour qui a été évoqué c’est… la grogne généralisée. Tant en France qu’en Belgique, les tensions sociales entre communautés n’ont cessé d’empirer ces dernières années. Actes d’antisémitisme en hausse, profanations d’églises, heurts entre Flamands et Wallons ou plus étonnamment attaque de boucheries par des militants végans. Il semble que la dégradation générale du climat social dans les deux pays n’incite guère à y revenir.
Issu de la banlieue parisienne et à Vancouver depuis 2015, Kevin B. explique : « Dans mon quartier, il y avait les communautés sénégalaises, arabes, maliennes et bien sûr, les « gaulois ». Personne ne s’entend avec personne et les incidents sont presque quotidiens. Ici les tensions, je ne les ressens pratiquement pas. Je n’ai jamais vu un Chinois s’en prendre à un Indien ou une femme se faire insulter dans la rue en raison de sa tenue… En France c’était presque tous les jours. »
Comment faire revenir ces personnes en France ? Samuel n’en a pas envie. Il compte bien demander la nationalité canadienne dés qu’il y sera éligible. Pour Kevin, cela dépend de ce qui ressortira de la crise actuelle. Si rien ne change au niveau social, il n’y retournera pas non plus par peur de « la politique de haine entre les communautés ». Une jeune analyste statisticienne interrogée, Elodie K. compte revenir en France « dans quelques années, quand j’aurai suffisamment d’expérience professionnelle pour décrocher un niveau de salaire confortable ».
Ainsi, même à 8 000 kilomètres de leur pays d’origine, c’est l’ensemble du modèle social français qui est remis en cause par ceux qui ont décidé de le quitter. Un grand débat pourrait-il faire ressortir des solutions ? Il n’y a pas, à l’heure actuelle, de précédents ayant abouti à des résultats concrets.