Je me souviens de courir sous la pluie le long de L’Arbutus Greenway – une ancienne voie ferrée reconvertie en zone piétonne et cyclable – et malgré la pluie battante qui accablait la ville depuis des semaines, une phrase martelait ma pensée : « Je t’aime Vancouver ! ». Je vivais alors à Seattle, dans l’État de Washington, et je venais de temps en temps rendre visite à la famille de mon époux originaire de Vancouver. Cet amour profond pour Vancouver venait contrebalancer ma lassitude d’un contexte politique américain de plus en plus pesant suite à l’élection du nouveau président américain. En novembre 2017, j’entamais ma neuvième année à Seattle, mon conjoint et moi étions prêts pour un changement. Grande fut ma surprise lorsque, quelques mois plus tard, mon époux accepta une offre d’emploi à Vancouver.
Une année s’est déjà écoulée depuis mon arrivée au Canada. Lorsque je pense à mon intégration et que je la compare à celle vécue aux États Unis, je ressens un tourbillon d’émotions et de sentiments contradictoires.
Ces dix dernières années vécues hors de la France m’ont appris que c’est par le partage des mêmes valeurs sociales et culturelles d’une communauté, et donc d’une ville ou d’un pays, que je me sens ancrée ou reliée à un lieu. Je n’ai jamais ressenti un sentiment d’appartenance aux Etats-Unis. En immigrant au Canada, j’imaginais que la promotion de la diversité, le respect de l’environnement, et l’égalité des chances (comme l’accès à la santé ou à l’éducation) faisaient partie des valeurs intrinsèques au pays. Je respectais ces valeurs et cela me rassurait. J’envisageais que mon « ancrage » serait alors plus facile dans ce nouveau pays. Ceci se révéla vrai.
D’autre part, mes deux enfants sont métisses, Vancouver est une ville idéale pour les élever. Elle leur permettra d’explorer et de maintenir leurs origines tout en continuant à parler français et en plus d’être proche d’une grande communauté asiatique. D’ailleurs, mon fils va dans une école publique francophone, une option qui n’existait pas aux États Unis.
Par ailleurs, Vancouver à l’image de Seattle, fait face à des difficultés sociales et économiques identiques, comme le manque d’accès au logement et l’accroissement de la pauvreté. En tant que travailleuse sociale, je ne peux ignorer ces enjeux. En particulier, le problème de drogue qui ronge Vancouver. Je revois encore mon fils de 5 ans tenant dans sa main, tout intrigué, une seringue vide alors qu’il s’apprêtait à jouer dans un jardin public. Malgré la beauté de la ville, la misère est bien visible à Vancouver. A Seattle, j’étais révoltée de voir la vitesse à laquelle les camps de sans-abris se développaient le long de l’autoroute qui me conduisait à mon travail. Vancouver possède aussi son lot de misère et de rues insalubres.
Sur un plan plus personnel, déménager dans un nouveau pays c’est aussi apprendre à accepter les inévitables moments de solitude et oser se réinventer, surtout professionnellement. Trouver un emploi à l’étranger, cela veut dire reconstruire un réseau professionnel, évaluer les ouvertures qui correspondent à ses compétences, se former ou changer de métier. Cependant, pour la première fois en dix ans, il me semble que parler français dans un pays bilingue ayant le français comme une de ses langues officielles comme le Canada, parler le français pourrait m’ouvrir de nouvelles perspectives professionnelles que je ne pouvais convoiter aux États Unis.
Finalement, après ces douze derniers mois à Vancouver j’ai souvent été touchée par l’attitude humble, accueillante et respectueuse des gens que j’ai eu la chance de rencontrer. Je constate que malgré les difficultés et inégalités citées précédemment, les Vancouvérois sont en général intéressés par l’innovation et le progrès social. La protection de l’environnement est au cœur des débats sociaux et politiques. Les articles sur le bien-être, l’écologie, l’intégration abondent d’ailleurs dans les journaux et blogs locaux.
C‘est donc dans cette ville pleine de paradoxes que je souhaite voir mes enfants grandir. En espérant qu’ils seront fiers de leur diversité culturelle et ethnique. J’encouragerai notre famille à adopter les valeurs canadiennes de respect, d’amitié et de tolérance. Ainsi, malgré la peur de l’inconnu qui me tiraille parfois, et consciente qu’il n’y a pas de ville parfaite, lorsque je sillonne English Bay avec mes bottes pleines de boue, m’aventure dans les chemins humides et cotonneux de la forêt de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC), et redécouvre pour la millième fois la beauté des côtes de Stanley Park, je me surprends à murmurer à nouveau « Je t’aime, Vancouver ».