La littérature francophone en Colombie-Britannique et ailleurs dans l’Ouest canadien se cherche inlassablement depuis quelques années un toit pour mieux rejoindre le grand public de l’Ouest. Un défi titanesque en milieu minoritaire francophone.
Preuve de ce bouillonnement littéraire, en 2015, les éditions de l’Épaulard avaient été fondées par le professeur André Lamontagne (professeur de littérature française à l’Université de la Colombie-Britannique – UBC) dans le but de permettre aux auteurs francophones de publier dans leur langue sur des sujets en relation avec la province. Qu’il s’agisse d’essais, de publications savantes ou d’ouvrages de vulgarisation. Cette maison a publié en décembre 2018 son premier titre : Pour l’humour du Français, d’Annie Bourret.
Les défis de l’édition en français dans l’Ouest canadien
Les éditions de l’Épaulard ont été lancées en partenariat avec Réal Roy, l’ancien président de la Fédération francophone de Colombie-Britannique, pour qui il manquait une structure de ce type aux francophones de la province. Le professeur Lamontagne explique qu’avec Réal Roy, ils avaient fait le constat que « beaucoup de chercheurs et de professeurs francophones de la province étaient obligés jusque-là de publier en anglais » et qu’il n’y avait pas d’acteur susceptible de les aider à publier dans leur langue maternelle. L’avenir dira si les éditions de l’Épaulard sont en mesure de relever le défi. D’autres publications sont prévues, comme par exemple un ouvrage consacré aux mythes et légendes autochtones de l’Ouest, mais l’édition francophone se heurte à un problème en apparence insoluble dans tout le Canada anglophone : celui des circuits de distribution.
Selon Frédéric Brisson, directeur général du Regroupement des éditeurs franco-canadiens (REFC), il s’agit du problème fondamental auquel font face les éditeurs dans l’Ouest, celui de la rareté des librairies. Il n’y en a que quelques-unes au Manitoba et en Saskatchewan, et aucune n’est spécifiquement francophone en Alberta ni en Colombie-Britannique. « Les éditeurs sont obligés de faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour placer leurs ouvrages » explique-t-il, et ils visent en particulier les écoles, les bibliothèques et les universités. Parfois les salons littéraires, comme le salon du livre de Vancouver, permettent de mettre en lumière quelques auteurs (il y en aura 18 cette année) et par ricochet, les maisons qui les soutiennent.
Pourtant, il y a une réelle spécificité de la littérature francophone en milieu minoritaire explique encore M. Brisson : On y trouve en effet une plus forte proportion de livres consacrés à la poésie, au théâtre ainsi qu’aux populations et à la culture des Premières Nations, que dans le reste de l’édition francophone au Canada.
Les éditions du Phare Ouest
Il existe cependant une autre maison d’édition francophone dans la province : Les éditions du Phare Ouest de Jean-Claude Castex. Cet ancien professeur à Surrey, arrivé au Canada en 1962 a en effet fondé sa propre maison il y a plus de 25 ans. Après avoir été lui-même publié chez d’autres éditeurs tels que les Presses Universitaire de Laval, il saute le pas en 1994 avec Marie-France Hautberg et publie pendant plusieurs années de nombreux ouvrages ayant pour thème principal les relations franco-anglaises à travers le temps, comme un Dictionnaire des batailles navales franco-anglaises, ou encore un Dictionnaire des batailles terrestres franco-anglaises de la guerre de Sept Ans. Mais pourquoi dans ce cas ne pas avoir poursuivi ses relations avec les éditeurs de ses précédents ouvrages ?
« Au Canada, » nous explique-t-il, « il y a une volonté du gouvernement de présenter l’histoire du pays de façon très épurée sous le prisme de l’unité nationale. La plupart des éditeurs se plient aux directives du gouvernement canadien d’aller dans ce sens en raison des subventions qu’ils reçoivent » Or, certaines des œuvres qu’il a publiées soulèvent des questions et ravivent des souvenirs parfois douloureux pour une partie de la population. Qu’il s’agisse de la déportation des Acadiens, pudiquement appelée « le grand dérangement » ou des nombreuses injustices et trahisons commises par les Anglais (tant sur le plan de la diplomatie que celui de la religion), il n’hésite pas à exposer de nombreux faits que certaines personnes préfèreraient voir oubliés, toujours en raison de cette union nationale entre Britanniques, Français et Premières Nations. Ces tensions, Jean-Claude Castex les connaît bien. Lui-même a dû quitter l’Algérie lors de son indépendance en 1962, il a donc une connaissance très intime des ravages que peuvent provoquer les sursauts de l’histoire sur la vie de simples particuliers.
Cependant, l’histoire n’est pas le seul sujet de ses publications et sa passion ne l’empêche pas de proposer également des ouvrages moins susceptibles de déplaire au gouvernement, comme des romans policiers ou des recueils de poésie regroupant parfois plusieurs auteur(e)s de la province. On trouve aujourd’hui ces livres dans des endroits aussi prestigieux qu’inattendus comme la Bibliothèque nationale canadienne ou la Bibliothèque du Congrès des États-Unis !
On le voit, l’édition francophone de la province reste tout de même assez limitée en dépit des qualités littéraires indéniables de la langue. Le professeur Lamontagne lui-même le dit : « Il y a dans le français une sensibilité à la répétition bien supérieure à celle que l’on retrouve dans l’anglais. Cela pousse à de la recherche dans la diversité du vocabulaire, à trouver les mots justes » Si les auteurs ne manquent pas, et que les maisons d’éditions commencent timidement à se lancer, il ne manquera qu’un réseau de distribution solide (pourquoi pas une librairie francophone en relation avec la FFCB ?) pour que la province puisse exprimer ses qualités littéraires et peut être, un jour, en faire profiter à l’étranger.