Le 16 novembre prochain sera célébrée la journée mondiale de la tolérance, selon l’UNESCO. Cette célébration intervient peu avant les fêtes de Noël durant lesquelles on s’attache également à l’esprit de concorde et à la générosité.
A cette occasion, La Source a rencontré quelques-unes des personnes et des organismes qui s’attachent à rapprocher les gens en dépit de leurs différences. Au-delà de la tolérance, des questions plus profondes se posent pour nos sociétés.
MOSAIC est un organisme britanno-colombien qui aide les nouveaux arrivants, et en particulier les réfugiés, à s’adapter et à s’intégrer dans la société canadienne et qui agit principalement dans la région du Grand Vancouver et la Vallée du Fraser. Ninu Kang, directrice de la communication et du développement répond à quelques questions.
La Source : Quel(s) pays représente(nt) pour vous cette volonté de vivre ensemble ? Et pourquoi ?
Ninu Kang : J’ai voyagé dans de nombreux pays et, d’après mon expérience, le Canada est de loin le pays qui donne le plus de valeur à la volonté de vivre ensemble. Il y a ici relativement plus de liberté et d’occasions pour quiconque désire y arriver. Comparé aux autres pays, les gens de différentes cultures ont plus de chance de parvenir à réaliser leur plein potentiel. Je suis originaire de l’Inde et je peux vous dire qu’il est très difficile de réaliser quoi que ce soit si vous n’êtes pas né dans le bon groupe ou la bonne caste. Parmi les autres pays, j’aimerais ajouter l’Australie et la Nouvelle-Zélande qui sont presque au niveau du Canada pour cette acceptation du multiculturalisme.
L.S. : Pourquoi se contenter de tolérer ? Ne peut-on simplement accepter nos différences et vivre avec ?
N.K : J’ai un problème avec le mot tolérance. Il a une connotation négative dans le sens où l’on peut dire « je ne t’aime pas mais je te tolère parce que ma vie sera plus facile ainsi ». Pour moi, le véritable enjeu c’est l’acceptation de l’autre, de tous les autres. L’acception en tant qu’être humain égal en droit, en respect, en dignité et en liberté. C’est l’intégration et l’acceptation qui permet à chacun de se dire que les autres sont ses semblables.
L.S. : Bien que les situations varient énormément entre les pays, pouvez-vous nous donner un exemple de politique qui ont permis une plus grande acceptation des différences ?
N.K : Pour moi, un bon exemple est celui de la Nouvelle-Zélande. Après l’attentat de Christchurch, les dirigeants n’ont pas perdu de temps. Ils ont immédiatement banni les armes qui avaient permis ces évènements, et leur première ministre avait réagi avec un discours et des actes énergiques. Il faut de bons leaders qui n’aient pas peur de mettre leur pouvoir en jeu pour calmer les tensions. Sur d’autres sujets, je trouve que la façon dont on commence à traiter les premières nations indigènes en Australie, au Canada et en Nouvelle-Zélande est un pas en avant dans l’acceptation du passé et de ses drames.
L.S. : Il y a quelques cas d’école comme l’Afrique du Sud où les tensions communautaires ont été apaisées par le charisme et la sagesse d’un seul homme comme Nelson Mandela. Pouvez-vous nous citer aujourd’hui des figures politiques qui suivent son exemple ?
N.K : Je ne vois plus de leader politique de nos jours. Il y avait le couple Obama qui était assez
extraordinaire sur ce point mais ses remplaçants sont en dessous de tout. Aujourd’hui, les exemples viennent plutôt du privé et je voudrais citer Bill Gates et son épouse Melinda dont l’influence et la philanthropie traversent les frontières. Ils créent des occasions, aident à améliorer la vie et la dignité de millions de personnes au moyen de leur fondation. Pour moi, il y a un vide politique de ce côté-là au Canada.
L.S. : Quels sont pour vous les plus grands obstacles à l’acceptation des différences entre les cultures ?
N.K : Je pense qu’il s’agit des groupes qui sont au pouvoir, souvent héritiers de la colonisation ou de la tradition, et qui n’ont pas le désir de partager ce pouvoir avec les nouveaux arrivants ou les anciens occupants. Il y a encore quelque part un certain sentiment de supériorité de la part des fondateurs de ces pays dans lesquels la culture, le système, la structure politique et les puissances de l’argent se manifestent pour garder ces groupes au pouvoir, ce qui crée des tensions et empêche l’acceptation des différences dans la diversité et l’égalité.
La Source a également rencontré la cinéaste documentaire Manon Barbeau, qui a reçu le prix
UNESCO-Madanjeet Singh (2018) pour la promotion de la tolérance et de la non-violence.
L.S. : Que représente pour vous le prix que vous a attribué l’UNESCO pour la tolérance et en quoi est-ce important ?
Manon Barbeau : Le prix UNESCO est d’une importance primordiale pour moi et pour les organismes que j’ai créés au fil du temps, le Wapikoni et musique nomade, studios ambulants de création cinématographique et musicale, qui portent vers les communautés des Premières Nations et des Inuits les outils technologiques pour leur donner une voix et la faire résonner dans le monde et qui construit un lien lumineux vers l’autre. Ces outils, le Wapikoni les porte également vers d’autres populations vulnérables dans le monde : camps de réfugiés en Turquie, populations bédouines en Jordanie et en Palestine, villages roms en Hongrie. Ce désir de tolérance, mais bien plus encore ce besoin d’ouverture à l’autre, à sa différence, à sa richesse culturelle, ce lien à l’autre à créer absolument, cette solidarité essentielle entre humains, m’a toujours animée et m’animera toujours. La symbolique du cercle, omniprésente dans la culture des premiers peuples, qui relie tout à tout, le jour à la nuit, les saisons entre elles, le végétal à l’animal et à l’humain, la vie à la mort, ce cercle, je l’ai intégré. Il parle d’harmonie. D’une harmonie difficile à atteindre en cette époque de grands bouleversements où beaucoup privilégient leur intérêt individuel. Mais il me semble que se dessine un mouvement, dans la jeune génération surtout, un renversement des valeurs qui donne espoir. Le prix UNESCO est à la fois une reconnaissance des efforts accomplis au fil des ans. Dans cette construction du lien vers l’autre au-delà de toutes frontières et un encouragement à poursuivre dans ce sens, sereinement et avec confiance. Un cadeau qui donne un supplément d’énergie pour la création d’une relève qui reprendra le flambeau.