En 1911 est publiée la première édition du livre Legends of Vancouver, écrit par E. Pauline Johnson, dont l’histoire est telle qu’il faudrait y consacrer une édition monographique de ce journal.
Ces légendes de Vancouver, Johnson les a recueillies de la propre voix du chef Joe Capilano, qui à plusieurs reprises lui a fait remarquer qu’elles n’avaient jamais été racontées aux anglophones.
Quelques mystères à élucider
Avec une qualité littéraire aussi pleine de beauté que de sagesse, fille de George H.M. Johnson, chef des Six Nations en Ontario, et d’Emily Susanna Howells, une dame britannique passionnée des arts, Johnson, aussi connue sous le nom de Tekahionwake, d’après les récits du chef Capilano, a dessiné une topographie de la vallée du Fraser jusqu’aux montagnes du nord bien différente de celle connue par les citoyens de l’époque. Un autre monde, contenu dans les mémoires des premières nations qui y habitent depuis des temps immémoriaux. Mais, comment est-il possible qu’une montagne, une rivière, un lac, soient différents pour deux cultures qui coexistent dans la même époque de l’histoire ?
Şükran Tipi, doctorante en anthropologie de l’Université de Laval, a quelques réponses à ce sujet. Elle et Joannie Gill travaillent en collaboration avec une équipe de recherche et la nation de Mashteuiatsh (au lac Saint-Jean au Québec), pour en documenter, dans un premier moment, les traditions territoriales notamment par, entre autres, la classification des noms des lieux en Nehlueun, la langue autochtone, et enregistrer les significations, « les savoirs que s’y rattachent » selon Mme Tipi. Au cours de la recherche, après avoir inventorié ces dénominations et au cœur des discussions avec les aînés pour valider la recherche « ils ont mentionné qu’il est très bien de garder ces noms-là et de les documenter; par contre, il ne faut pas oublier que la vision autochtone du territoire est plutôt englobante, qu’il y a des valeurs, des récits, du savoir-être rattachés à ces
mots-là, » affirme Mme Tipi.
Nommer les lieux
La nation de Mashteuiatsh est issue d’une culture ancestrale nomade, avec un besoin important de reconnaître les environs naturels, les endroits qui marquent les chemins. Les noms des lieux ont, par conséquent, une importance particulière pour les Pekuakamiulnuatsh. Mais aussi, « on nomme parce que les lieux sont importants…, » explique Mme Tipi, on veut les commémorer, tout à fait comme pour les Occidentaux, pour en préserver leurs traditions, les histoires et l’identité que ces lieux ont aidé à construire. « De ces endroits, on en garde plutôt la mémoire. »
Şükran Tipi s’est rendu compte qu’autour de la création des noms de lieu chez les Pekuakamiulnuatsh il y a une charge culturelle et traditionnelle ancestrale qui n’équivaut pas aux manières sociolinguistiques occidentales. Comme exemple, elle parle du Lac Saint- Jean, qui reçoit le nom du premier « blanc » à se rendre à ce lieu en 1643; par contre, le dit lac est nommé en nehlueun Pekuakami, qui veut dire « Lac-peu-profond ». Chez les Pekuakamiulnuatsh, il semble que les traditions d’appellation répondent plutôt à l’observation des caractéristiques des lieux, mais aussi, et de manière plus importante, aux histoires autour de ces lieux et qui sont transmises de génération en génération. Ces traditions linguistiques sont encore en vigueur et elles servent à l’affirmation identitaire, à la définition de leur identité dans le territoire.
Joannie Gill fait partie du groupe des jeunes collaborateurs pekuakamiulnuatsh qui participe à la recherche mené par Tipi. Elle va s’associer à Mme Şükran Tipi dans le Congrès conjoint de la Société canadienne d’anthropologie et l’American Anthropological Association dans la conférence intitulée The Power of Names and Other Linguistic Labels (Le pouvoir des noms et d’autres étiquettes linguistiques), qui va se tenir à Vancouver, où Joannie Gill vit actuellement, « sur un territoire ancestral traditionnel de plusieurs premières nations ».
Mme Gill parlera durant la présentation de sa relation avec ses origines, avec sa langue ancestrale, qui, comme dans plusieurs cas chez les Pekuakamiulnuatsh, n’est pas la langue maternelle.
Les collaboratrices observent que, pour l’appellation, les usagers de la langue ont recours à plusieurs dimensions ontologiques, voire la spirituelle, la topographie, l’historique, etc., qui permettent que chaque endroit puisse avoir plus d’un nom, selon les différents contextes et discours. « Il s’agit d’une réaffirmation de l’identité, d’une résistance contre les résultats d’un colonialisme et d’un accaparement des terres ancestrales, » explique Mme Tipi. Est évident, alors, un respect pour le territoire en tant que porteur des pas des ancêtres, de leurs activités, des grands événements qui ont forgé la nation, mais comme dans toute société, la langue change et évolue; il y a de nouvelles histoires chaque jour, de nouveaux événements qui transforment les endroits et qui continuent à y ajouter de la signification.
Ce qui nous ramène chez le chef Joe Capilano, qui n’avait jamais entendu parler des Lions (The Lions), et qui, lorsqu’il en a entendu la description, a ensuite reconnu qu’il s’agissait des « Deux soeurs » millénaires, dont la légende est reprise de manière fascinante par E. Pauline Johnson. Combien d’histoires intéressantes vivent derrière la recherche de Mme Tipi et son équipe ? Avis aux intéressés : les deux collaboratrices seront au Vancouver Convention Centre le jeudi 21 novembre à 10h15 pour en parler.
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