Une carrière presque impossible à réaliser pour une jeune Turque encore incertaine de ses capacités, de sa volonté de réussir, et sans les ressources financières suffisantes pour des études très coûteuses.
Pour Tara Tugge Baydar les années passent et son rêve tour à tour s’efface. Elle s’aperçoit au quotidien que, bien qu’elle se sente faite pour ce métier, elle n’en a ni les moyens financiers ni la confiance en soi pour réussir dans une profession difficile et surtout dominée par les hommes.
Aujourd’hui, elle travaille à mi-temps dans un hôtel de Vancouver pour se payer les heures de vol qu’il lui faut encore pour obtenir sa licence de pilote de ligne.
La Source : D’où êtes-vous ?
Tara Tugge Baydar : Je suis originaire de Turquie et j’habite Vancouver depuis mai 2018.
LS : Qu’est-ce qui vous a amenée au Canada et à Vancouver ?
TTB : Ma sœur et son époux ont émigré au Canada il y a quelques années et vivent maintenant à Vancouver. Ils ont un enfant, un travail et se sentent bien intégrés à la communauté. Je les ai suivis en pensant que cela serait plus facile de poursuivre des études de pilote ici et aussi de perfectionner mon anglais.
LS : Racontez votre histoire.
TTB : J’ai démissionné comme agent de bord en septembre 2017. Je suis restée chez ma soeur jusqu’en février 2018, mais je me suis découragée et je suis rentrée à Istanbul pour essayer à nouveau dans mon pays. Mais après avoir passé trois mois à Istanbul, j’ai décidé de revenir et de terminer mes études à Vancouver.
LS : Vous étiez agent de bord pendant combien de temps ?
TTB : Pendant sept ans. J’ai commencé à travailler pour des compagnies régionales en Turquie. Depuis ma petite enfance, j’ai été attirée par les avions. J’étais fascinée, mais ça s’arrêtait là, car je ne pensais pas pouvoir faire ce métier un jour. J’avais plutôt tendance à m’autocensurer par rapport au métier de pilote.
LS : Quand avez-vous décidé que vous vouliez poursuivre la carrière de pilote ?
TTB : Je venais d’être promue au rang de chef de cabine, ce qui représente la dernière étape pour l’avancement. Alors, je me suis dit : plonge !
LS : Quelles ont été les difficultés auxquelles vous avez dû faire face ?
TTB : Tout d’abord le côté financier : en Turquie, c’est coûteux de faire un cours de pilote, ensuite il me fallait une licence universitaire que je n’avais pas et surtout, le manque de soutien moral.
LS : Mais vous avez quand même réussi. Vous avez votre brevet de pilote privé !
TTB : Oui, mais c’est un parcours difficile.
LS : Quelle est la proportion de femmes pilotes dans le monde maintenant ?
TTB : Je crois qu’au niveau mondial, la proportion de femmes pilotes c’est autour du 5 %, selon l’International Society of Women Airline Pilots. C’est deux fois moins que dans les métiers d’ingénieur, pourtant régulièrement pointés du doigt pour leur faible taux de féminisation (11 %, selon la Women’s Engineering Society.)
LS : Si vous aviez un conseil à donner aujourd’hui aux jeunes femmes comme vous qui veulent poursuivre leur rêve ?
TTB : Cela serait de toujours saisir les occasions, d’éviter l’autocensure, ne jamais se dire « ce n’est pas pour moi » Aussi, apprendre chaque jour un peu plus pendant chacun des vols.
Je dois dire que je suis très heureuse d’être l’une des rares femmes pilotes en ce moment, mais je ne crois pas que cela va durer longtemps. Les jeunes femmes de la prochaine génération sont plus intelligentes et plus courageuses que nous, si bien que je crois que cette profession ne sera plus dominée par les hommes.
LS : Avez-vous eu des moments de peur en pilotant ?
TTB : Pour moi, si quelque chose d’inquiétant se passe durant le vol, ma toute première pensée est de savoir où je vais me poser.
LS : Où pilotez-vous ?
TTB : À Langley Regional Airport. Je vole sur un Cessna 152 ou 172, cela dépend des conditions météorologiques.
LS : Combien d’heures vous faut-il encore pour passer votre brevet de pilote de ligne ?
TTB : 110 heures. Doigts croisés !