Un jour ou l’autre, quelqu’un s’est mépris sur notre origine sociale, raciale ou même sur notre sexe. Mais une telle méprise peut-elle être profitable ? Les privilèges associés à un profil racial ou social peuvent parfois changer une vie. Mais tout cela reste basé sur la vox populi.
Comme l’explique Wayde Compton, « le passing [usurpation raciale] est dans les yeux de celui qui regarde. Par exemple, on prend un métis pour blanc et il bénéficie des privilèges attribués aux blancs. Il est difficile de s’arrêter uniquement à un seul mot. Quelqu’un peut être « pris pour » et dans ce cas-là, je propose le terme fantasmer car c’est encore une fois dans les yeux de celui qui regarde. Tout cela reste dans la perception d’une autre personne ». L’auteur revient d’ailleurs sur ce lexique qui est exploré dans son ouvrage After Canaan : Essays on Race, Writing and Region.
La clarification s’impose souvent lorsqu’on aborde le sujet. Comme avec Emily, elle-même blanche, qui ne se sent pas directement concernée : « Je ne me sens pas vraiment capable d’en parler, étant donné que je n’ai jamais vraiment eu le sentiment d’avoir un « privilège blanc ». Mais je comprends que certaines personnes aient pu le faire si ça les aidait à obtenir des avantages comme l’accès à l’éducation, à un logement ou encore à un travail. Mais ça nous montre surtout qu’il nous reste beaucoup de travail à accomplir en matière d’égalité des chances. »
C’est un terme dont on ne trouve que peu de mentions. Le site internet de la Fondation Canadienne des Relations Raciales n’en porte aucune trace et il est difficile de trouver une personne capable d’en parler. De plus, ce phénomène reste difficile à chiffrer pour l’instant.
Une « heureuse » usurpation
Pour Wayde Compton, « le passing a quelque chose de très situationnel. Ça dépend de tellement de facteurs : la personne, le pays, la société… Prenons le cas d’un homme qui a été légalement identifié comme noir mais avait des ancêtres autochtones. Il est donc « devenu » autochtone » alors qu’il l’a toujours été. Dans cette situation, peut-on dire qu’il s’est fait passer pour ? »
Les métis nord-américains ont enfanté le concept et les œuvres de Nella Larsen (Passer la ligne) ou encore de Philip Roth (La Tache) l’ont popularisé.
Ainsi, par le passé, certains métis à la peau claire ont pu bénéficier du « privilège blanc » sur une méprise. Certains ont pu avoir accès à certains postes et certaines études auxquels ils n’auraient sans doute pas eu accès si leurs origines avaient été révélées et c’est l’occasion de faire voler en éclats les théories eugénistes.
Cette méprise a donc pu permettre non seulement une promotion sociale mais aussi l’accès au pouvoir et à l’influence pour constituer un soutien quasi-secret au combat contre les discriminations.
Échapper à la discrimination
Si l’usurpation raciale peut apparaître comme une méprise opportuniste, elle a aussi été tacitement acceptée pour tout simplement survivre comme l’explique Wayde Compton. L’écrivain rappelle les épisodes sombres de la règle de la goutte unique : une seule goutte de sang noir dans vos veines pouvait vous faire passer de l’autre côté de la ligne et vous perdiez bien des options durant la période de la ségrégation.
Mais pourquoi saisir cette occasion ? Passer pour une catégorie privilégiée, c’est aussi transcender une condition à risque. S’élever dans la société, c’est donner des chances d’échapper à la discrimination. Cependant, ce jeu de masques peut aussi être un moyen de cacher des origines. Ce même « privilège blanc » peut susciter la jalousie des pairs, bien au courant de cette omission volontaire. Car cet apparent renoncement peut être considéré comme une véritable traîtrise.
« Je suis contre les discriminations. Je suis d’origine chinoise et on assume donc que je parle mandarin. Si on me demande pour un emploi « Vous êtes chinois, vous parlez mandarin ? », je dirais oui, bien que mes compétences linguistiques soient limitées. En revanche, si on me demande si je suis coréen et que ça me donne des privilèges comme une réduction dans un restaurant par exemple, je répondrais non parce que je n’aime pas manipuler le système », nous explique Yew.
L’opportunisme médiatique
Politiciens et artistes vont aussi y recourir pour obtenir des faveurs. Mais ce jeu est dangereux car les menteurs se brûlent souvent les doigts avec l’ardente vérité et passent sur le gril de l’opinion publique. Une jeune Suédoise blanche et blonde changeant de couleur de peau et adoptant des coiffures afro a été débusquée sur les réseaux sociaux et ce grimage a attiré les foudres des internautes.
Pour Emily, « ça ressemble à une mauvaise appropriation culturelle, presque comme si on entrait dans une culture dans laquelle on n’a pas été invitée. Mais je n’ai pas cette impression de transgression pour quelqu’un qui veut passer pour blanc. Je ne sais pas ce que ça dit de moi ».
« Au Canada, ce concept est finalement un peu caduc. Les autochtones ont, selon moi, bien répondu à cette question. Pour eux, c’est une question nationale et tout dépend davantage du lien familial ou relationnel qu’un individu entretient avec la communauté et la culture autochtone qu’une couleur de peau », conclut Wayde Compton, sur une conception qui abolit les frontières raciales et sociales au profit de l’unité nationale.